Des milliers de femmes ont manifesté à Bordeaux mercredi 8 mars, en cette Journée internationale des droits des femmes. De tous âges et de tous horizons, elles se sont mobilisées contre les oppressions de genre.
La Place Renaudel qui jouxte l’église Sainte-Croix de Bordeaux connaît une agitation peu commune ce mercredi matin. Quelques tonnelles habillent le lieu, abritant les espoirs et les luttes des dizaines de militantes féministes réunies. Bravant la pluie, elles préparent dans un esprit de sororité le défilé de l’après-midi. Ce “village féministe” est la première étape d’une journée qu’elles annoncent marquante.
Les associations présentes espèrent une mobilisation massive. Dans la continuité du mouvement du 7 mars contre la réforme des retraites, la convergence des luttes est revendiquée par l’AG féministe, organisatrice de la marche. Les revendications sont nombreuses : lutte contre les violences sexistes et sexuelles, émancipation économique des femmes et minorités de genre. Un point commun ? Plus de moyens financiers.
Anouk, 36 ans, est professeure des écoles. Membre du syndicat FSU-SNUPP, elle milite pour une meilleure prise en charge des violences intrafamiliales. “On estime que dans une classe, les violences sexuelles concernent au moins deux enfants. En tant que professionnelle, être formée à ces questions et savoir repérer ces violences, c’est essentiel.”
Si les missions de la Fondation des femmes, pour laquelle Aurore milite, sont multiples, la collecte de dons financiers est fondamentale : “Ce n’est pas forcément agréable, mais pour mener nos combats, on a besoin d’argent. Nous sommes de belles associations mais nous n’avons pas de budget. ”
Anne-Marie est à la retraite depuis trois ans. Particulièrement sensible aux femmes sans-abri, c’est naturellement qu’elle s’est engagée dans l’association et l’accueil de jour de Toutes à l’abri. Pour elle, ces femmes “sont plus vulnérables que les hommes quand elles sont à la rue, car davantage exposées aux problématiques de la drogue, de la prostitution et des viols.”
“Ma séparation a été libératrice. Avant, je lisais des livres, j’écoutais des podcasts. Mais à ce moment-là, j’ai compris la puissance du collectif et du passage à l’action”, explique Camille, 29 ans. Engagée dans l’antenne girondine de Nous Toutes, elle mutliplie les engagements au sein de l’AG féministe mais aussi de la coordination féministe nationale.
Le cortège de manifestantes s’est lancé à 14h30 de la Place de la Bourse. Elles étaient entre 12 000 et 15 000 manifestantes selon les organisateurs et 2 500 selon la préfecture.
A 27 ans, Myrtille est sur tous les fronts. Co-présidente du Planning familial de la Gironde, elle est également membre du service d’ordre de la manifestation en ce 8 mars. “La cause féministe a toujours été une profonde conviction. La période Covid et post-MeToo a fini de réveiller la colère en moi et la nécessité de m’engager pleinement pour défendre les droits des femmes et des minorités de genre.”
“Je suis rentrée dans le militantisme par la porte du féminisme, mais aujourd’hui je considère que cette lutte s’inscrit dans un mouvement plus global. Il faut faire tomber le capitalisme pour faire tomber les oppressions de genre”, défend Claire, 22 ans, militante à la Fédération syndicale étudiante (FSE) qu’elle définit comme une organisation étudiante “communiste et révolutionnaire”.
Septuagénaire, Jacquie considère qu’elle a le féminisme “dans les gênes”. Militante à Femmes Solidaires, ses engagements s’inscrivent dans une lutte universaliste, sociale et antiraciste. Si la retraitée veut “mener ce combat avec les hommes […] et marcher avec eux”, elle réaffirme un principe : “Même s’ils peuvent manifester à nos côtés, on ne les laisse pas entrer au conseil d’administration. On sait que d’une façon ou d’une autre, ils pourraient exercer une forme de domination. »
“Quand j’ai commencé à militer, je voyais deux formes de féminisme : institutionnel ou individualiste et victimaire. Ça ne me parlait pas. J’ai même rejeté ces courants« . En s’engageant à Révolution permanente, Petra, étudiante d’une vingtaine d’années, a trouvé sa voie : “Je suis pour un féminisme de lutte des classes. Autrement dit, si le genre nous unit, c’est la classe qui divise et donc structure nos luttes.”
Lilou, 21 ans, est comme elle le dit elle-même de la génération des Marches pour le climat. Si elle s’est engagée d’abord dans un mouvement écologiste, celui des Jeunes écologistes de Bordeaux, difficile pour elle de ne pas voir le lien entre exploitation des femmes et exploitation de la nature. Elle abonde : “Des discours comme ceux de Sandrine Rousseau, sur l’écoféminisme, ça me parle fortement. J’aimerais m’engager dans un mouvement qui mêle ces deux causes ».
Si l’unité inter-associations est bien réelle, la marche radicale de nuit, prévue à partir de 19h ce mercredi 8 mars a pourtant secoué le milieu féministe bordelais. Organisée par le collectif Feminist and queers against patriarchy (Fack Ap !) pour la deuxième année consécutive, la question de la mixité divise. Côté organisateur·ices, cette modalité a un objectif principal : permettre à des personnes que la non-mixité empêche de venir de marcher pour leurs droits. Se définissant comme anti-autoritaire et anti-carcéral, le collectif souhaite aussi éviter que des biais transphobes et un phénomène de “surveillance” n’interviennent dans une marche qui se veut inclusive. Mais des membres du collectif le rappellent : ce n’est pas pour autant un appel à ce que les hommes cisgenres hétérosexuels, et donc non-concernés par les oppressions de genre, viennent manifester. Si la communication autour de ces arguments a été longuement réfléchie, elle n’a pas pour autant été comprise de tous· tes. La batucada féministe, groupe de percussions, a par exemple annoncé ne pas souhaiter participer collectivement à cette marche.
A 23 ans, Maya est la co-présidente de l’association Mouvement étudiant universel féministe (MEUF) qu’elle a elle-même fondée en 2020. Présente sur le campus Victoire, l’association n’a pas pris collectivement position sur sa présence à la marche de nuit organisée par Fack Ap ! A titre personnel, Maya rappelle l’importance de la non-mixité comme outil de lutte mais également la persistance des violences sexistes et sexuelles au sein même des cortèges.
Enora Foricher(@EnoraForicher)
Alexis Gonzalez (@algonzlz)
Photographies par Alexis Gonzalez et Timothée Gimenez