Alors que la métropole a voté un plan pour la rénovation énergétique le 25 mars, le logement reste le premier poste de consommation d’énergie à Bordeaux. En cause, des bâtiments mal isolés ou mal rénovés.
« Dans certaines maisons, on a constaté que des couches de laine de verre de 20cm avaient été posées dans les combles. Sauf que pour une isolation efficace, il faut une couche de 35-40cm ! » s’emporte Fanny Mujenizowich, cheffe de projet chez SOLIHA Gironde. L’association conseille les particuliers pour des solutions d’habitat durable. Sa responsable critique les dispositifs publics « Coup de pouce », lancés en 2017 pour proposer des solutions d’isolation à 1€ pour changer sa chaudière, ses fenêtres etc. Ces aides avaient fini par être mises au placard par un arrêté d’avril 2021 après le constat du nombre grimpant de fraudes à la rénovation énergétique. Les plaintes de consommateurs recensées en 2018 avaient augmenté de 20% par rapport à 2017. « Pour que cette opération soit rentable, certaines entreprises ont privilégié la quantité de chantiers à la qualité. Et en passant deux heures dans une maison, les travaux sont inévitablement mal faits », complète Fanny Mujenizowich.
Des rénovations par étapes inefficaces
Ces rénovations « par geste » représentent la majeure partie des rénovations thermiques de logement en Nouvelle-Aquitaine . Oui, c’est simple et plus économique de réparer uniquement sa chaudière, de ne pas faire venir des dizaines d’ouvriers pour transformer sa maison. Mais derrière, ces retouches n’apportent aucune garantie d’économies d’énergie, et leur multiplication non plus.
D’après un rapport de l’ADEME paru en janvier 2021, seules les opérations de rénovation en une ou deux étapes permettent de respecter les objectifs « Bâtiments basse consommation énergétique » (BBC) lancés par le gouvernement. Manque de bol : la majorité des rénovations se faisant en minimum quatre étapes, elles dépassent parfois jusqu’à 30% la barre symbolique de 80 kWh/m2.
Et oui, la France reste très à la traîne sur la rénovation énergétique. Dans son dernier scénario pour la neutralité carbone, l’association négaWatt est claire : « Depuis 2017, force est de constater que la France a accumulé un retard colossal en matière de rénovation. » Pour respecter les objectifs de neutralité carbone fixés pour 2050 par la Stratégie Nationale Bas-Carbone, il faudrait rénover quasiment l’ensemble du parc de logement vers le niveau de basse consommation. On n’y est pas du tout.
Virage vers la « rénovation globale«
A l’échelle locale, le constat est double : dans la métropole bordelaise, 40% du parc date d’avant la première réglementation thermique de 1974 et présente un faible niveau d’isolation. De plus, les rénovations effectuées jusqu’ici ont été médiocres : sur les 9 500 recensées en 2019, seules 5000 étaient considérées comme performantes.
Les acteur·rices locaux prennent conscience de l’ampleur de la tâche et se battent pour améliorer la qualité des rénovations. Quand on demande à Nathalie Duviella, directrice du Centre d’Eco-énergétique d’Aquitaine (CREAQ) combien de rénovations dites « performantes » ont été réalisées sur Bordeaux Métropole, elle répond « trop peu ». « Pour caricaturer, les gens viennent se renseigner pour changer leur chaudière, et nous on pense rénovation globale, alors on essaie de voir quelles aides ils peuvent mobiliser pour faire plus de travaux avec le même investissement. » Ce centre, opérateur de Bordeaux Métropole, prodigue gratuitement des conseils “neutres et objectifs” aux personnes intéressées pour des travaux de rénovation énergétique. Sa responsable raconte que les ménages aidés ne se projettent pas dans de gros travaux. « C’est une prise de risque, et ça peut être source d’anxiété. Les gens se demandent s’ils font les bons travaux, à quel artisan s’adresser etc. »
Simplifier l’accès aux aides
Les aides de l’État et des collectivités territoriales jouent le rôle de « la carotte » résume-t-elle. Une carotte pas facile à saisir. Les multiples aides qui ont vu le jour peuvent se cumuler ou non, sont conditionnées par le revenu ou non, et concernent autant les petits gestes (changer une chaudière ou isoler un toit) que les grosses rénovations. Ajoutons à cela le label RGE (Reconnu Garant de l’environnement) obligatoire pour les artisanes et artisans qui réaliseront les travaux, et on comprend pourquoi Nathalie Duviella affirme que « Conseiller sur les aides c’est une grosse partie de notre métier parce que c’est très complexe. » C’est peu de le dire… La première conséquence de ce système d’aides illisible ? Le délai entre la décision de rénovation et le début des travaux. « Un an, un an et demi, c’est plutôt un minimum, et ça peut aller jusqu’à trois ans », annonce la directrice du CREAQ.
Or, les objectifs de la Métropole, portés par la mairie écolo de Bordeaux restent très ambitieux: le plan présenté le 25 mars vise à faire passer 11 500 logements par an sous le sigle BBC à horizon 2026. Le plan marque un virage dans la stratégie de rénovation des bâtiments trop gourmands en énergie et prévoit une refonte des aides locales afin d’inciter les ménages à opter pour des rénovations globales. « Un propriétaire pourra bénéficier jusqu’à 13 000 euros d’aide publique de la métropole : 11 000 pour les travaux et 1 000 pour les diagnostics », précise Stéphane Pfeiffer, adjoint au logement de la mairie de Bordeaux. « Avant le dispositif métropolitain ressemblait plutôt à du saupoudrage. »
La rénovation énergétique manque de bras
Les aides poussent à lancer des chantiers, mais le manque d’artisanes et artisans formé·es aux travaux de rénovation globale reste criant. Dans son scénario 2022, négaWatt estime que d’ici 2030, plus de 100 000 d’entre elles et eux devraient être formé·es. D’autre part, les corps de métiers n’ont pas l’habitude de travailler de concert. L’entreprise DoRéMi tente d’y remédier, comme le détaille Doriane Charles, chargée de mission territoire : « Six corps de métier sont nécessaires pour réaliser les postes de travaux nécessaires à une rénovation performante, alors nous les formons. au travail d’équipe. » Un bon argument face aux détracteur·rices d’une « écologie punitive » qui pénaliserait l’emploi.