Capitale du vin, temple de la gastronomie, meilleure destination touristique en 2015, Bordeaux multiplie les casquettes.Moins connue, la capitale girondine est également la reine française en matière de vente directe de produits agricoles. Peu où pas d’intermédiaires, producteurs locaux, pas de pesticides. Pour faire simple, de la bouffe du coin, saine et propre. Avec comme double objectif : manger mieux et faire vivre les petits producteurs.
Bordeaux élue ville la plus locavore de France en 2015. Comprenez, qui consomme local. Alors que les éleveurs pestent contre la baisse des prix d’achat, dénoncent les intermédiaires et les grandes enseignes, forcement, la nouvelle résonne encore plus. Consommer local, ça ne se résume pas uniquement à la mode du bio. Ça ne se résume pas non plus aux bobos des villes– ou « bobio » – qui parcourent les marchés à la recherche des derniers légumes branchés inconnus, genre topinambour ou rutabaga.
Le circuit court, popularisé par le développement des AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) il y a une dizaine d’années en France, est un système de commercialisation de produits agricoles, en vente directe ou indirecte entre le producteur et le consommateur, et avec au maximum un seul intermédiaire. Des produits de saisons, peu d’emballages, peu de transports, plus de lien social. La Gironde, qui compte près de 200 AMAP, dont une trentaine dans l’agglomération bordelaise, et près d’une quinzaine de ruches (un autre système de circuit court, proche de l’AMAP), fait office de modèle en la matière.
« Les consommateurs en ont marre de cette consommation à outrance ! »
Depuis leur création, ces structures comptent de plus en plus d’émules. Une réponse à la crise qui étrangle les agriculteurs depuis plus de cinq ans selon Nathalie, bénévole dans la ruche des Chartrons. « Avec tout ce qui se passe dans les médias, ça explose. On a de plus en plus de succès. Quand on a ouvert il y a 3 ans et demi, il y avait 50 adhérents. Aujourd’hui on est près de 3000 ! » se réjouit-elle, entre les cageots et le va-et-vient des clients, que l’on appelle ici « abeilles ». (Vous saisissez?) « Depuis l’émission Cash investigation, il y a une grosse prise de conscience. Je suis allé eu Simply market récemment, ils ont mis un rayon bio qui n’y était pas avant. Il y a clairement une mode, et certains surfent dessus. » Du surf sur la vague de méfiance des consommateurs donc, qui, après plusieurs scandales alimentaires, recherchent une nouvelle manière de consommer.
Dans ce garage désaffecté situé dans le quartier des Chartrons, les encombrants, les cartons et les vieilles planches de bois côtoient les fruits et les légumes. On s’attendrait plus à voir débarquer Louis la brocante qu’un marchand de pomme. Pourtant ici, on ne vend pas d’antiquités, mais bien des produits frais, sains et locaux. Pré-commandés sur internet, les clients viennent récupérer leurs paniers entre 18h et 19h30 tous les 15 jours. Consommateurs et producteurs, tout le monde y trouve son compte. « Je n’ai pas une grande surface, seulement six hectares et demi de vergers. Avant je vendais aux grossistes. Ma marge s’est au fil du temps réduite. Il fallait trouver une solution : les circuits courts » explique Thierry, producteur de pommes.
Même son de cloche du côté de l’AMAP de Bacalan, non loin des bassins à flots. « J’ai une petite exploitation agricole. Sur une petite exploitation on est obligé de vendre en direct, car on ne peut pas se permettre de vendre en gros, on n’a pas assez de surface » explique Christine, maraîchère depuis près de 10 ans au sein de l’AMAP « Avant j’étais a l’Utopia, où il y avait un groupement de producteurs, j’y suis resté deux ans. Puis j’ai eu envie de faire une AMAP réelle, avec des prises d’engagements de 6 mois, et des adhérents fidèles » continue t-elle. Car ici, contrairement à la ruche, où les « abeilles » commandent puis réceptionnent simplement leurs paniers, le système de l’AMAP implique une participation active des adhérents. « L’objectif est que les gens s’impliquent au quotidien. Certains participent à la distribution, on encourage d’autres à venir participer à des chantiers chez les producteurs, à aller une à deux fois par an pour aller semer ou ramasser des légumes » raconte Thierry, membre actif de l’AMAP depuis 10 ans. Pour Christine, « ça intéresse beaucoup les consommateurs, qui en ont marre de cette consommation à outrance, et ont envie de manger des produits sains ! ».
Pour autant, ce mode d’approvisionnement n’a pas que des avantages. Pour le consommateur d’une part : contraintes des horaires et des dates des distributions, assez rares, panier à payer en avance dans les AMAP, ou encore prix plus élevés que dans la grande distribution. Tout n’est pas forcement rose pour le producteur non plus, qui « ne peut pas passer des gros volumes en circuits courts » rappelle Thierry, le producteur de pommes des Chartrons. Peu de volumes, peu de clients, trop petites structures, le circuit court semble donc pour l’instant ne rester qu’un mode de consommation alternatif. « Chez nous, il n’y a pas de croissance du nombre d’adhérents. On est limité par la faible productivité des maraîchers, on ne peut pas distribuer au-delà », avoue Thomas, adhérent à Bacalan. Implanté à Lormont depuis août 2015, Yvon Crance, fondateur avec son fils Cédric du magasin Coop’Paysanne, entend bien profiter des avantages des circuits courts mais sans leurs contraintes, grâce à son concept de vente directe.
La Coop Paysanne, un concept qui vient en aide aux agriculteurs
« Notre magasin fait ce qu’il faut. Les AMAP et les Ruches sont de super idées, mais de trop petites structures, avec des petits volumes. Le temps de préparation est très lourd pour le producteur par rapport au chiffre d’affaires » explique Yvon Crance, assis à son bureau, derrière la chambre froide de sa boutique, où reposent quelques carcasses de bêtes. « C’est un système qui petit à petit va avoir des difficultés. On écoule 7-8 tonnes de légumes par mois chez moi, seulement 20 cageots dans une AMAP ! » Inaugurée l’été dernier, grâce au soutien de la banque BNP et d’un bailleur social (DemoFrance), la Coop’paysanne permet à des producteurs de mettre en vente directement, sans intermédiaires, leur produits aux clients de la boutique, ouverte du lundi au samedi. « Chez nous, on n’achète rien, on met a disposition des agriculteurs des outils de travail pour qu’ils puissent choisir leurs prix et vendre leur production. On encaisse le chiffre d’affaires pour eux, qu’on leur rétrocède en totalité moins les coûts du magasins » précise Yvon.
Un système vertueux donc, qui permet d’acheter des produits de qualité, à 80% girondins, pas nécessairement bio, tracés, mais surtout, de laisser l’éleveur respirer. « C’est fondamental ! », s’exclame Yvon Crance, qui avoue avoir quelques difficultés à convaincre de nombreux éleveurs « On fait un peu peur, car on est tout nouveau. Les éleveurs ont peur de quitter le système classique pour nous. C’est très difficile d’entrer en confiance avec. C’est dommage car sur une bête ils gagneraient entre 1000 et 1400 euros. » Pour parvenir à ses fins, cet ancien chef d’entreprise espère le soutien de la région afin de se développer mais surtout ouvrir de nouveaux magasins dans Bordeaux : « J’ai demandé à Alain Rousset de sécuriser la coop. On va ouvrir 6 magasins. On doit pouvoir garantir aux éleveurs une programmation, car il faut près de cinq ans pour élever une bête. Je veux leur garantir de pouvoir acheter leurs bêtes d’ici 2018-2019 ». En attendant, la Coop paysanne prend du galon et fait de plus en plus parler d’elle. L’ouverture d’une seconde boutique est prévue d’ici le mois de juin 2016, à Cénon. Pour le bien des consommateurs, et celui des producteurs « A Bordeaux, il y a une énorme demande. Les gens en ont marre d’acheter n’importe quoi… il y a une vrais prise de conscience! ».