Dans un contexte de crise sanitaire interminable et de menace climatique permanente, des solutions émergent pour vivre ensemble, et vivre mieux. Comme l’éco-colocation : cette façon de cohabiter pour tisser un lien social tout en partageant ses engagements écologiques. L’occasion pour celleux qui manquent de moyens de mettre en place des micro-gestes bien utiles à la collectivité. Mais parfois, le contexte urbain peut compliquer ces initiatives.
Un hibou en pierre orne le numéro 100, rue Billaudel. Outre ce détail, la maison blanche de Lorine, Laura, Louis et Vincent se fond dans le paysage citadin, parmi les immeubles délabrés de Bordeaux. Mais à l’intérieur, un petit écocentre éclos. C’est le fruit de ces quatre étudiant·es qui s’évertuent à verdir leur quotidien : vrac alimentaire, récup’ de meubles, auto-réparation en mécanique, seconde main, économie d’énergie, produits ménagers maison. À l’origine, Louis n’était pas vraiment actif pour l’environnement. Puis Lorine a déposé sa candidature pour le logement. L’étudiante aux longues boucles brunes a commencé sa transition écologique il y a trois ans, après un voyage en Écosse qui l’a rapprochée de la nature. Si elle aime partager ses valeurs, elle insiste sur le fait qu’elle ne veut pas éduquer les autres : « Moi je fais, et les gens le voient. Après, ils en font ce qu’ils veulent. » Laura est engagée auprès d’Oxfam France et de Youth for Climate depuis deux ans. La militante aux airs faussement timides affirme qu’elles ont ramené une conscience écologique dans la colocation, bien que tous s’influencent. Lorine confirme : « Il y a des choses auxquelles je ne vais pas forcément penser et c’est là qu’intervient la coloc. Par exemple, je n’utilise pas de savon solide pour faire la vaisselle, alors que Laura oui. Le fait qu’elle le laisse en évidence sur l’évier avec la brosse, ça m’incite à l’utiliser ». Les quatre étudiant·e·s ne sont « jamais » en désaccord sur les décisions à prendre. « Il y a énormément de communication entre nous, on décide ensemble pour savoir quoi mettre en place et comment gérer notre consommation », grelotte Laura, agrippée à son thé fumant.
Bien engagé·es, mal isolé·es
L’hiver au pas de la porte, iels se sont mis d’accord sur la température maximale de 19°C, mais il est difficile d’être écolo quand l’état du bâtiment ne le permet pas : « La maison n’est pas du tout adaptée, il y a des trous partout, c’est mal isolé ». Lorine précise cependant qu’en tant qu’étudiante, elle ne peut pas se permettre d’être trop exigeante, tant il est compliqué de trouver un logement abordable à Bordeaux.
Marianne vit dans une éco-colocation à Nansouty depuis trois ans. Elle aussi s’est revêtue pour le froid : « La maison a été très peu rénovée et réfléchie. On a eu le double-vitrage il y a seulement deux ans, après qu’on se soit battu·es pendant des années. On dépense beaucoup alors on chauffe peu, et on se couvre plus ». Au sein de la coloc, les profils sont différents (elle, est chargée de mission pour une association qui développe le compostage, les deux autres sont institutrice et brasseur), mais iels ont toustes une appétence pour l’écologie et s’encouragent à développer un véritable écosystème au sein de leur jardin de 500m2. En emménageant, iels ont re-gazonné le terrain et cultivent désormais des espaces pour vivre et s’alimenter. L’été, il y a des patates, des artichauts : « C’est touffu, il y a plein de saveurs et de couleurs », s’émerveille la trentenaire. Ce qui reste pour l’hiver, c’est leur spirale d’aromatiques : une construction en dalles récupérées dans la rue, au sein de laquelle poussent du thym et du romarin (l’été, iels replantent de la coriandre et du basilic citronné). En spirale, car l’eau servant à arroser les aromates plantés en hauteur, ruisselle jusqu’à la terre pour l’abreuver.
La véritable bataille, c’est le zéro-déchet
Pour Marianne, il est de plus en plus facile de faire de la récup’ en ville : « Quand j’ai besoin d’engrais pour mon jardin, je vais récupérer le compost sur les sites de compostage des quartiers de la ville, et ça ne me coûte rien ». Bien qu’elles n’aient pas les mêmes moyens, Lorine et Marianne ont le même but : en finir définitivement avec le plastique. Mais passer au zéro-déchet coûte de l’argent, et surtout, c’est un dur combat contre le système qui utilise le plastique à outrance. Flo, elle, l’a presque éradiqué. Mais c’est dans les rues et les magasins qu’elle ne veut plus le voir. Dans sa cuisine, il n’y a que des bocaux en verre et elle recycle pratiquement tout. Chauffage au poêle, toilettes sèches, récupérateur d’eau, jardin en permaculture… Elle a l’étoffe de l’écolo modèle. « C’est dans mon ADN », affirme-t-elle. Elle a rejoint une éco-colocation à Gradignan il y a trois mois. Avant, elle vivait seule dans des espaces verts beaucoup plus grands mais avec la pandémie, elle avait « besoin de lien social ».
La plus jeune de ses colocataires a 33 ans, elles sont toutes actives dans des associations écologiques. Elles ont déjà fait l’expérience de vivre avec des étudiant·es qui ne s’intéressaient pas spécialement à la cause. « L’aînée de la coloc était intransigeante, elle ne laissait rien passer. Mais c’est pour le mieux, ça les a sensibilisé·es ! ». Flo estime qu’il est presque plus facile de correspondre à des idéaux écolos lorsque l’on vit en ville : « Il y a beaucoup plus de proximité, on peut facilement faire tous ses déplacements en vélo. Alors qu’ici, la voiture est souvent indispensable ». Mais avoir la possibilité de prendre le vélo en toute occasion ne signifie pas que tout le monde le fait. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Lorine ne fait pas pousser d’aromates devant ses fenêtres, elle ne veut pas de CO2 dans son assiette.
Colombe Serrand
Crédit photo : Ségo Raffaitin