Rares sont les femmes dans le monde de la voile, d’autant plus à un poste à responsabilité. C’est le cas de Sophie Simonin, qui a dirigé l’expédition Unu Mondo au Groenland. Le but de cette odyssée de quatre mois : alerter sur le réchauffement climatique. À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes 2021 sur le thème du “leadership féminin”, la directrice d’expédition nous raconte ses pérégrinations maritimes et évoque la place d’une femme cheffe d’équipe.
Il en faut beaucoup pour effrayer Sophie Simonin. Initiée au voyage dès son plus jeune âge par des parents installés en Polynésie, elle apprend à naviguer quelques années plus tard, dans des circonstances originales. Lassée par son mode de vie parisien, elle plaque tout en 2016. Elle laisse à terre son travail, son logement, sa “petite vie bien rangée” comme elle l’appelle et part pour un voyage en “bateau-stop”. Ce qui devaient être des vacances se transforme vite en un tour du monde de trois ans et demi pendant lequel elle apprend à manier la voile. Trois ans en mer, “sans carte bleue”, coupée du monde. En Afrique du Sud, elle rencontre Tobias Carter, avec qui, mue par des considérations écologiques, elle fonde l’association Unu Mondo en février 2019. Elle enfile le chapeau de directrice d’expédition, et part en route pour le Groenland. Son leadership ne fait aucun doute. Pas question pour elle d’être cantonnée à son statut de femme, auquel elle préfère le rôle de “cheffe d’orchestre” d’un équipage.
Vous êtes de retour en France après une expédition de quatre mois, où vous trouvez-vous en ce moment ?
Sophie Simonin : Sur mon voilier, à la Rochelle ! Je suis de retour d’une expédition au Groenland. J’y ai rencontré les populations locales qui ont témoigné des conséquences du réchauffement climatique. C’était un projet ambitieux. À l’origine avec Tobias, on a acheté le bateau à Bristol en Angleterre, on a récupéré l’équipage à Saint-Malo puis on a effectué un trajet jusqu’au sud du Groenland, où on a fait escale dans de nombreuses villes (voir carte interactive). C’était la première fois qu’on naviguait en zone Arctique, avec un bateau qu’on ne connaissait pas et un équipage, qui pour la moitié, n’avait jamais mis les pieds sur un bateau ! On ne se connaissait même pas entre nous. On s’était seulement parlés sur Zoom. Malgré tout, on a réussi à effectuer toutes les missions qu’on s’était fixées. Depuis notre retour en novembre, on mène des actions auprès des écoliers. On sillonne la France pour parler mondes polaires et préservation de l’environnement. On sera à Bordeaux au mois d’avril, puis je repartirai pour une expédition, avec une nouvelle équipe.
Derrière cette expédition, il y a donc un engagement écologique. Pourquoi avoir choisi cette démarche ?
S.S : Avoir les témoignages de populations locales permet d’entendre les voix de personnes qui vivent directement le réchauffement climatique. Grâce à cela, on peut parler des enjeux environnementaux autrement que par des chiffres. On apporte un côté humain. L’image de l’aventure est plus attrayante et les gens se laissent embarquer. Ça nous sert pour mener nos actions pédagogiques en France.
Pendant cette expédition très particulière, comment s’est passée la vie quotidienne sur le bateau ?
S.S : Ça tangue, ça bouge beaucoup, un peu comme une machine à laver ! On ne s’arrête pas de naviguer la nuit, on avance en permanence. Alors on fonctionne par quarts. Pendant deux heures, une équipe surveille et navigue, puis on tourne. C’est la même chose pour les repas ou le rangement. On vit à six dans un tout petit espace, un bateau de quinze mètres. Il faut que tout le monde ait son rôle. J’ai celui de directrice, ce qui implique beaucoup de responsabilités. Établir les quantités de nourriture à embarquer, vérifier l’équipement de sécurité. Je m’assure d’avoir tout ce qu’il faut à bord. Je dois garantir que tout se passe bien pour mon équipage. Je m’occupe aussi des financements, et de questions administratives comme les assurances. C’est un peu comme un métier de cheffe d’orchestre, mais sur un bateau.
Comment avez-vous abordé le poids des responsabilités qu’implique cette fonction ?
S.S : Au départ, c’est assez stressant, d’autant plus que c’était ma première expérience de directrice. Mais j’avais bien préparé l’expédition, j’avais pris beaucoup de conseils en amont auprès d’autres explorateur‧ice‧s et fait de nombreuses recherches. Isabelle Autissier [navigatrice, première femme a avoir effectué un tour du monde à la voile lors d’une compétition] nous avait par exemple expliqué comment naviguer entre les icebergs. Ça m’a bien aidée une fois sur place. Cette responsabilité reste un poids mais mon équipe était très concernée et sérieuse, ils suivaient bien mes directives. Je les ai beaucoup impliqués et ça m’a soulagée.
Vous avec navigué avec un équipage totalement masculin, est-ce que ça compte d’être la seule femme, surtout quand on a ce rôle de responsable ?
S.S : Pour moi être une femme n’a rien changé. Je suis tout autant capable qu’un homme. Au contraire, je trouve ça important qu’il y ait des femmes dans la navigation, elles y ont tout à fait leur place. Plus qu’une femme, c’est ma casquette de directrice d’expédition qui prenait le dessus. Automatiquement, un certain respect s’impose. L’équipage m’écoutait, mon autorité n’était pas contestée. Les règles ont été posées dès le début et il n’y a eu aucun problème. J’étais la seule femme à bord, mais je trouve ça bien d’avoir un équipage mixte pour l’équilibre. Avoir un équipage composé uniquement d’hommes ou de femmes, ça me paraît plus compliqué. Je ne me verrais pas du tout naviguer avec un équipage 100% féminin. Je pense qu’il y aurait des problèmes d’entente. Évidemment, c’est personnel, il n’y a pas de règle générale.
L’équipe d’Unu Mondo continue son action et passera à Bordeaux en avril pour sensibiliser les écoliers aux enjeux environnementaux. Sophie Simonin repartira ensuite de La Rochelle pour une nouvelle expédition en direction de l’Islande.
Crédit : Julien Fumard/Unu Mondo