La Nouvelle-Aquitaine serait une des régions les plus égalitaires de l’Union Européenne en termes de taux d’activité des femmes et des hommes et de parité au travail. Mais derrière ces chiffres encourageants, de nombreux écarts persistent, mis en lumière par la crise sanitaire.
La bonne nouvelle est tombée vendredi, elle vient du dernier rapport publié par l’INSEE. D’après l’étude, la région Nouvelle-Aquitaine serait une bonne élève dans la lutte contre les inégalités entre hommes et femmes au travail. En 2019, la participation des femmes y est plus forte qu’en moyenne dans l’Union Européenne. Les écarts de taux d’activité et d’emploi y sont moins importants : 5 points d’écart en défaveur des femmes, contre 12 au niveau européen.
Mais ce rapport masque une réalité moins glorieuse. Si le niveau d’emploi des femmes est plus important, la nature des postes qu’elles occupent est plus problématique. Selon Laetitia César-Franquet, docteure en sociologie qui a étudié les inégalités entre femmes et hommes à la mairie de Bordeaux en 2015, d’immenses fossés subsistent. “Le rapport de l’INSEE décrit une réalité. Mais derrière, la plupart des femmes qui travaillent ont des emplois peu diplômés ou peu rémunérateurs. Prenons l’exemple de Bordeaux Métropole. Les postes d’agent polyvalent de restauration dans les cantines scolaires ne sont pas pris en compte dans les moyennes de salaires pour ne pas baisser la moyenne de cette dernière. Alors que ce sont de petits contrats féminins et très peu rémunérés”.
Les femmes moins rémunérées et plus exposées
C’est là que le bât blesse. Encore aujourd’hui, les femmes sont surtout présentes dans les secteurs peu payés et très exposés, dont celui du commerce de détail où elles représentent 61% des forces vives. Ces chiffres grimpent à 76% dans les secteurs de la santé, 83% dans l’action sociale. Pour Sophie Buffeteau, directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité, deux critères sont à étudier pour expliquer cette différence : “Il existe d’abord une difficulté à concilier vie personnelle et professionnelle. Des femmes vont faire ou subir le choix de rester à la maison. Aussi, dans l’imaginaire collectif, le salaire des femmes reste un salaire d’appoint, un complément à celui des hommes”.
La crise sanitaire est venue renforcer les inégalités dans une profession largement féminisée, à faible rémunération. Avec leur exposition en première ligne durant les confinements, le dévouement et l’exemple des caissières a été salué après sa mise en lumière par le décès d’Aïcha Issadounene, ayant succombé du covid fin mars 2020. Et la prime de 1000 euros, promise par les géants de la grande distribution fin octobre, a peiné à satisfaire un secteur où la peur d’être contaminé.e a fait monter le taux d’absentéisme à 40% lors de la première vague.
Cette difficulté se traduit aussi par des types de postes différents. Les femmes sont 5% plus nombreuses à occuper des postes à temps partiel et 12% sont en contrat à durée limitée, contre 8% seulement chez les hommes. Sophie Buffeteau explique : “Cette situation peut obliger à accepter des temps partiels subis, même dans des secteurs très féminisés, comme les métiers du soin ou de la vente par exemple”.
Sensibilisation et mécanismes de contrôle
Pour lutter contre ces inégalités, des mesures sont prises à l’échelle régionale. Des campagnes sont notamment menées auprès des jeunes dans les collèges et les lycées par des associations comme le Planning Familial ou le CIDFF, subventionnées par la région. Elles encouragent la mixité dans l’orientation en déconstruisant une conception genrée des métiers pour tenter d’augmenter la liberté de choix des femmes comme des hommes. Sophie Buffeteau détaille l’importance de l’école dans l’évolution des mentalités. “L’éducation nationale a un grand rôle à jouer. On les sensibilise au fait que filles et garçons ne doivent pas se sentir enfermé.e.s dans des rôles prédéfinis”.
Autre mesure mise en place en 2018 : l’index d’égalité professionnelle. Cet indicateur vise à diminuer les disparités entre femmes et hommes en permettant aux entreprises de mesurer les écarts de rémunération. Il met en évidence les points de progression sur lesquels agir en cas de disparités injustifiées, et toutes les entreprises de plus de 50 salarié.e.s doivent le publier chaque année. Problème : l’an dernier, seules 400 ont été contrôlées, et 3 d’entre elles sanctionnées pour manquements. Laetitia César-Franquet s’indigne : “400 contrôles, c’est rien ! A l’échelle de la région, seulement 3 sanctions, c’est trop peu. Il faudrait beaucoup plus de transparence sur le sujet pour forcer les entreprises à jouer le jeu”. En effet, sur plus de 148 000 entreprises implantées dans la région, le nombre de contrôles reste bien dérisoire.
Enfin, la région sensibilise et accompagne les femmes dans leurs projets de création d’entreprise. Mais pour Laetitia César-Franquet, il faut agir plus concrètement, en s’accordant par exemple à l’emploi du temps des salariées : “Instaurer une charte de gestion du temps serait intéressant. Il n’est pas normal d’avoir des réunions à 18h quand la crèche ou la garderie ferme au même moment. Cela complique les choses et renforce le sentiment de désarroi des femmes”. Au premier regard, les chiffres semblent donc encourageants, mais le travail à faire reste immense. Le succès des manifestations du 8 mars, où des professions largement féminisées comme les sages-femmes étaient largement représentées, l’a encore souligné.