Alors que la France a dépassé la barre des 1 000 morts liés au coronavirus en milieu hospitalier, la prise en charge du corps d’un patient décédé suit maintenant un nouveau protocole. Personnels hospitaliers et funéraires restent en première ligne, mais affrontent le danger à armes inégales.
Le personnel soignant n’a rien pu faire. L’heure du décès du patient infecté par le coronavirus vient d’être prononcée, mais la maladie ne s’est pas éteinte pour autant. Une course contre la montre commence, et tout un arsenal de précaution est déployé afin de limiter les risques de transmission du virus. « On travaille avec la tension d’être contaminé, et de contaminer les gens à notre tour ». Laetitia, aide-soignante de nuit dans un hôpital du 20ème arrondissement parisien, est en renfort dans les services Covid-19. Quand un patient meurt, elle s’occupe, en binôme avec une infirmière, de préparer le corps.
Depuis les recommandations émises le 18 février par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) quant à la prise en charge des défunts infectés par le SARS-CoV-2, les infirmières et aides-soignantes redoublent de vigilance. « Il faut considérer par principe que le risque de contamination est le même chez un patient décédé que chez le malade vivant. […] Tout corps de défunt est potentiellement contaminant et les précautions standard doivent être appliquées lors de la manipulation de tout corps ».
Pour rentrer dans la chambre du défunt, Laetitia et sa collègue s’équipent de surchaussures, gants, charlotte et surblouses jetables, d’un masque FFP2, ainsi que de lunettes de protection. « Ici on ne manque pas de matériel, mais au niveau des tenues de protection, c’est léger… Les charlottes et les tenues jetables sont très fines » indique l’aide-soignante, qui doute que cet équipement la protège suffisamment du virus.
Pour la famille, la double peine
Les manipulations sont réduites au strict minimum. Fini les grandes toilettes sauf si le patient est souillé ; les soignants se contentent maintenant d’une petite toilette intime. Après lui avoir retiré toutes ses perfusions et mis des pansements à ces endroits, son corps est placé dans un drap, puis dans une première housse. « Ensuite, on attend le passage de la famille ».
Dans tous les hôpitaux français, la présentation aux proches des victimes du Covid-19 est désormais réduite à une très courte période. Au sein des hôpitaux de l’AP-HP, à compter de l’heure du décès, les familles disposent de deux heures. Deux heures seulement pour encaisser la nouvelle, se rendre à l’hôpital si besoin, et choisir qui aura la chance de dire au revoir au proche qu’ils viennent tous de perdre, pour la toute dernière fois. Car une personne uniquement – qui devra s’abstenir de tout contact avec le défunt – est autorisée à rentrer dans la chambre. « C’est un moment très dur pour les familles… Une fois hospitalisés, les patients restent confinés dans leur chambre, et ils n’ont plus le droit aux visites. Durant plusieurs semaines ils n’ont pas pu voir la personne qu’ils viennent de perdre, et ne peuvent même pas lui dire au revoir ». Une situation crève-cœur.
Les deux heures écoulées et les adieux faits, le patient est évacué vers une chambre mortuaire isolée, réservée aux corps infectées par le coronavirus. « Après avoir nettoyé la housse avec un désinfectant pour surface, on met le tout dans une deuxième housse », qui sera ensuite immédiatement placée dans le cercueil. Des précautions exceptionnelles, mais qui ne rassurent pas. « Nous manquons de recul, et on ne sait pas si mettre du produit désinfectant sur la housse mortuaire est suffisant pour nous protéger des gros risques infectieux », déplore Laetitia. « Cela fait 10 ans que je suis aide-soignante, et maintenant j’ai l’impression d’aller au front. J’aime mon métier, mais je n’ai pas signé pour mourir ».
Les pompes-funèbres abandonnées
Les craintes de Laetitia, partagées par l’ensemble du personnel hospitalier, se retrouvent aussi chez les personnels funéraires. Certes, depuis l’avis de HCSP, les thanatopracteurs ne peuvent plus faire de toilettes ni de soins de conservation sur les défunts décédés du Covid-19. Mais les agents de pompes funèbres, en bout de ligne et exposés à des risques de contamination, se sentent quant à eux délaissés. Une question les taraude : comment se protéger du virus sans le matériel nécessaire ? « On manque d’équipements, et surtout de masques » relève Richard Feret, directeur général délégué de CPFM (Confédération des Professionnels du Funéraire et de la Marbrerie), première fédération patronale du secteur du funéraire. « Nos distributeurs et grossistes n’ont plus de stock, tout a été réquisitionné par l’Etat», rajoute-t-il. Combinaisons, masques, lunettes et gants sont autant d’éléments qu’ils leurs sont recommandés de porter afin de se protéger.
Florence Thévenaud, responsable parisienne d’une agence de pompes funèbres, tente d’assurer tant bien que mal la protection de ses salariés. Ses équipes pâtissent déjà de la pénurie de masques. « On n’a aucune protection, on n’arrive à en trouver nulle part ! Quelques pharmacies des beaux quartiers nous donnent des masques, mais cela ne suffit pas », regrette-t-elle. Le risque de contamination, moindre à l’hôpital où les agents procèdent uniquement à la levée de corps, s’avère important quand le personnel doit faire la mise en bière lui-même, comme dans les Ehpad ou au domicile du défunt. « Quand le médecin nous informe qu’il y a une suspicion de Covid, les agents partent avec des gants, du gel hydroalcoolique et une combinaison ». A défaut de masques, ses employés se couvrent le visage avec un fichu, le temps de l’intervention. Une protection de fortune malheureusement inutile, en raison de la taille du virus (cf. encadré).
Richard Feret a rédigé mercredi 18 mars un courrier au ministère de la Santé pour faire état de ses inquiétudes, et demander au gouvernement de leur offrir une solution pour pouvoir continuer à assurer, sereinement, leur mission de service public. Sans réponse. La situation, inédite et auxquels les professionnels n’étaient pas prêts à faire face, tend les rangs. « Notre activité ne peut pas s’arrêter. Ne plus s’occuper des défunts, ce n’est pas possible », insiste-t-il. Alors que le nombre de morts grimpe de façon exponentielle, les pompes funèbres, démunies, tirent la sonnette d’alarme.