Alors que le confinement survient en pleine période de Carême, les aumôneries en profitent pour s’approprier de nouveaux outils numériques dans le but de réapprendre aux jeunes à pratiquer leur foi chez eux.
« Il faut s’armer de patience. » La voix d’Isabelle Dugave, responsable de l’aumônerie de Saint-Julien-en-Genevois (74), affiche au téléphone une certaine sérénité.
Les aumôneries de l’enseignement public (A.E.P) du diocèse d’Annecy, lieux de rencontre pour collégiens, lycéens et jeunes professionnels, n’ont pourtant pas été épargnées par les bouleversements organisationnels liés au confinement. Elle avoue même que cette situation inédite prend son aumônerie un peu au dépourvu : « Savoir si cette période va porter préjudice aux jeunes dans la pratique de leur foi, c’est la grande question. ».
Chaque mois, ils se retrouvent pour partager un repas, des temps de prière avec des lectures de la Bible, couplés à des activités ludiques mêlant jeux et débats. Les rencontres mensuelles ont été annulées, tout comme les « temps forts ». Des pèlerinages à Lourdes, La Roche-sur-Foron (74), et au Puy-en-Velay prévus pour les semaines à venir n’auront finalement pas lieu. Événements importants dans la vie des jeunes croyants, ils permettent en temps ordinaire de consacrer pleinement les fêtes religieuses. La Journée diocésaine de la jeunesse (JDJ) à La Roche-sur-Foron devait par exemple commémorer le dimanche des Rameaux, qui se tiendra le 5 avril 2020.
L’aumônerie de Saint-Julien doit également préparer des jeunes pour leur baptême ou leur communion solennelle, qui auront lieu fin mai-début juin. Ces préparations s’étalent dans le temps et s’effectuent sur plusieurs rencontres. « Pour un baptême, il est nécessaire de prendre le temps qu’il faut pour que le jeune apprenne progressivement la signification de cette cérémonie, le sens de son engagement de croyant. », explique Isabelle Dugave. La responsable n’écarte pas la possibilité d’annuler ces célébrations si le temps de préparation ne s’avère pas suffisant.
Des « pop louanges » pour capter l’attention des jeunes
Le défi principal pour les aumôneries est de réussir à capter à nouveau l’attention des jeunes pour s’adonner à des pratiques spirituelles à distance. La tâche ne semble pas aisée : « Quand ils sont collégiens, les jeunes n’ont pas plus envie que cela de poursuivre leurs activités d’aumônerie chez eux, en dehors des rencontres. Ce n’est qu’à partir de la Première/Terminale que les jeunes commencent à aborder certains thèmes entre eux, dans leurs discussions », analyse Marie-Line Richard, responsable des aumôneries du diocèse d’Annecy. Difficile également de forcer les jeunes à pratiquer à distance. « Il faut faire preuve de délicatesse, nous ne voulons pas les surveiller. ».
Les aumôneries peuvent pourtant compter sur de nouveaux acteurs intervenus dernièrement sur la scène musicale chrétienne. Originaire de Valence, le groupe Glorious pratique la « pop louange » et rencontre un succès notable auprès des jeunes de la région. « Les jeunes d’aujourd’hui s’intéressent davantage à l’expression de leur foi personnelle, à leur rapport à Dieu et aux questionnements intérieurs qui en découlent. Un groupe comme Glorious aborde ces thèmes-là dans ses chansons, d’où cet engouement », remarque Marie-Line Richard, qui observe un retour général à la méditation individuelle des croyants. Les aumôneries haut-savoyardes tentent de tirer parti de cette évolution. « Si le confinement avait eu lieu il y a vingt ans, on n’aurait peut-être pas su quoi proposer aux jeunes. », reconnaît la responsable de la pastorale. La plupart d’entre elles ont un groupe Whatsapp où les membres reçoivent notamment un lien URL pour avoir accès à la louange quotidienne de Taizé, communauté monastique basée en Saône-et-Loire.
Mais les responsables d’aumônerie contactées avouent qu’elles ne sont pas très à l’aise avec le numérique, « moins que nos jeunes qui sont nés avec Internet ». Il faudrait peut-être que l’on ose plus. », admet Marie-Line Richard.
De Taizé à Netflix
Des jeunes, justement, proposent des programmes plus attractifs pour la communauté de leur âge. C’est le cas du collectif Trinité, un groupe de jeunes croyants de Haute-Savoie qui a lancé en 2017 sa propre marque de vêtements religieux. Son fondateur, Elie Duverney, est étudiant en commerce et fréquente l’aumônerie de Saint-Julien. Pour lui, on ne peut pas intéresser des jeunes qui viennent à l’aumônerie de temps en temps en se contentant d’envoyer un lien. « C’est bien sympa, mais ce n’est pas très bien amené. Je doute que beaucoup cliquent et restent dessus. » Elie est aussi membre de l’aumônerie d’Annecy, qui propose, elle , davantage de solutions multimédia aux confinement. « Le premier mercredi, nous nous sommes réunis par petits groupes en visioconférence pour partager l’évangile du jour. Nous avons passé un très beau moment, ça ne changeait pas vraiment de d’habitude. ».
Trinité veut dynamiser les contenus apportés aux jeunes, quitte à dépasser le cadre des rencontres d’aumônerie : le collectif vient de lancer il y a un mois une chaîne Youtube, Trinité TV, où des croyants viennent exprimer leur foi à travers des témoignages forts. Daniel Marie, braqueur de banques devenu prêtre, ou Pedro Henrique Bueno, footballeur des Chamois Niortais, ont notamment été interviewés. « Nous comptons sortir une vidéo par semaine. Le confinement tombe bien pour nous. », ironise Elie Duverney. Il conseille aussi le visionnage à plusieurs de la série Netflix Kingdom and Empire, qui raconte la vie des apôtres.
Les prêtres osent le numérique
Mais les jeunes ne cherchent pas pour autant à rester entre eux. Le prêtre Vincent Rossat, accompagnateur de la Pastorale des Jeunes, se dit « très sollicité » : «Évangile Radio, un groupe Whatsapp de jeunes, m’a demandé de m’enregistrer tous les deux jours pendant que je prononce des paroles de l’ Évangile. Réticent au départ, j’ai compris que c’était important pour eux de continuer à entretenir le lien qui s’est tissé avec « leur » prêtre ».
Loin de porter préjudice à la foi des jeunes, cette période de confinement devient en fait selon Marie-Line Richard « l’occasion ou jamais d’en tirer des bénéfices » pour apprendre à intéresser autrement les jeunes au-delà du temps des rencontres. « C’est l’occasion pour eux de comprendre que l’aumônerie et l’église où ils prient, et leur vie quotidienne, ne sont pas deux mondes parallèles », éclaire Vincent Rossat. « Parce que contrairement à un sport ou à un travail, on n’arrête jamais d’avoir la foi ».