Cette année, le concours des élèves en 6e année de médecine – les ECN – est fortement perturbé par le Coronavirus. Mobilisation dans les hôpitaux, fin de stage, concours blanc à la maison … La crise sanitaire accentue les inégalités entre les candidats aux épreuves nationales.
Les Epreuves Classantes Nationales ( les ECN) « blanches » n’ont pas été un fiasco total. Ce n’était pas joué d’avance. Elles devaient avoir lieu en amphithéâtre du 16 au 18 mars 2020. Mais c’était sans compter la fermeture des tous les établissements scolaires et supérieurs, et du confinement national. Les facultés n’ont pas eu le choix, le concours blanc s’est fait à la maison, sur plateforme virtuelle.
Tricheries et rumeurs
Sacha Brohée, étudiante en 6e année – ou D4 – de médecine à l’Université de Bordeaux, constate : « Il n’ y a pas eu de bug informatique. Mais certains ont joué le jeu, d’autres non. » Une semaine avant le concours, le 12 mars, les élèves ont dû effectuer un test de charge, c’est-à-dire un exercice similaire à ceux du concours blanc mais non comptabilisé, pour vérifier que la plateforme fonctionne bien. « Il y avait dans ce test une question sur le diverticule de Meckel, et même là, il y a eu de la triche. » déplore-t-elle. Des étudiants se sont amusés sur Google Trends, un outil permettant de savoir à quelle fréquence un terme a été recherché sur le web. Résultat : le 12 mars, en France, le fameux diverticule n’a jamais été aussi populaire.
Le concours blanc des ECN est censé donner à chaque candidat une idée de son classement sur l’ensemble des 9000 étudiants francophones. Cette année, à cause des nombreuses tricheries, il sera surement faussé. L’étudiante bordelaise s’inquiète surtout du « vrai » concours. Sur les réseaux sociaux, les rumeurs d’un report à juillet 2020 courent. Patrice Diot, le président de la Conférence Nationale des Doyens de médecine, les réfute et s’en agace sur Twitter, pointant du doigt une « prépa au concours » privée qui en serait à l’origine.
Une nouvelle fois, je dois souligner que les informations dites officielles du report des ECNp, véhiculées par des entreprises de formation privées #HERMES ne sont pas valides à cette heure.
— Patrice Diot (@Doyen_Diot) March 23, 2020
« On a pas la tête aux révisions »
Report du concours ou non, les révisions, elles, sont fortement perturbées. Paul Ritvo, étudiant en médecine à l’Université de Paris décrit l’impact de la crise sanitaire sur son quotidien : « En sixième année, on a un rythme de vie de robot avec pour seul objectif le concours, explique-t-il. Là, on nous enlève tout : notre stage, les bibliothèques pour réviser… on est totalement perdus ». Sur le groupe Facebook Neurchi d’Externe, les étudiants rivalisent d’ingéniosité en postant des mèmes satiriques. Une manière de prendre avec humour et second degré « la crise qui leur tombent dessus », s’amuse Sacha, l’externe bordelaise.
Malgré tout, les étudiants n’ont pas la tête aux révisions. « Il y a forcément un aspect de cette pandémie qui nous interpelle : la gestion de crise, le vaccin, l’accès aux soins etc. c’est difficile d’être focus sur le concours. » Dans les zones en crise, certains ont décidé de se porter volontaire. Paul, par exemple, a répondu parmi les premiers dès début mars, à l’appel à bénévolat du SAMU de Paris relayé sur le compte Facebook de sa promotion. D’autres restent chez eux et révisent. « Ça paraît égoïste mais je peux comprendre, nuance-t-il. Ça fait trois ans qu’ils préparent ce concours, ils ont peur de la rupture d’égalité, donc ils essaient de ne pas se laisser perturber dans la dernière ligne droite. »
Injustice au concours
Cette rupture est bien réelle. Alors que les étudiants en stage au SAMU ou en réanimation sont doublement sollicités, ceux des autres services sont renvoyés chez eux. C’est le cas de Paul et Sacha, respectivement en stage en traitement de la douleur et en neuro-chirurgie. Le premier en profite pour aider bénévolement. La seconde a signalé sa disponibilité à sa faculté, comme demandé. Mais pour l’instant, les D4 sont épargnés par la mobilisation au CHU de Bordeaux. Sacha est consciente de l’injustice : «Pour les étudiants situés dans les zones où le taux d’attaque explose, réviser pour les ECN est impossible.» Et Paul d’ajouter : «pour ma part, je suis au standard téléphonique sans contact physique avec les malades, mais certains étudiants prennent vraiment le risque d’être infectés». L’ Intersyndicale Nationale des Internes (ISNI) a annoncé jeudi dernier que « déjà deux internes sont en réanimation entre la vie et la mort par manque de matériel de protection ».
Les étudiants l’affirment : si la crise sanitaire du Coronavirus révèle des inégalités au concours des ECN, en réalité elle ne fait qu’accentuer des iniquités préexistantes. Paul explique : «Certaines facs, comme la mienne, sont mieux loties que d’autres, alors que le concours est national. Les inégalités existent de fait.» Celles nouvelles provoquées par le Coronavirus sont bien plus visibles et démontrables. Il concède : «A trois mois du concours, elle peuvent être plus facilement plaidées».