Lors de la conférence nationale du handicap à l’Élysée, Emmanuel Macron a annoncé la création d’une plateforme et d’un numéro unique – le 360 – pour centraliser les procédures administratives des personnes handicapées. Cette mesure ne fait pas l’unanimité. Les travailleurs sociaux doutent de son efficacité face au sac de nœuds administratif actuel.
Les deux enfants de Marie-Pierre* et Christophe* sont placés en IME, Institut Médico-Éducatif, une structure accueillant les mineurs atteints de handicap mental. Ils ont besoin de séances d’orthophonie. Bonne nouvelle : l’IME en propose. Mauvaise nouvelle : l’établissement est sur le point d’imploser à cause du manque de moyens humains et de places. Les enfants du couple ne peuvent être pris en charge correctement. Faute d’autres solutions, il se tourne vers un orthophoniste libéral. Mais la CPAM refuse de rembourser les séances. Leur argument : pourquoi aller à l’extérieur alors que l’IME donne accès à tous les soins ? Ces situations ubuesques sont quotidiennes pour les travailleurs sociaux. Malgré les bonnes volontés affichées par le gouvernement lors de la conférence nationale du handicap ce mardi, les promesses d’un État 100 % inclusif sont chimériques.
Quelle est l’origine de ces dysfonctionnements ? D’un côté, les délais d’attente et le manque de moyens des structures. De l’autre, la désinformation et le découragement des bénéficiaires. Mylan Douthe, conseiller départemental d’APF France Handicap à Bordeaux explique : « le problème n’est pas le manque de droits existants mais l’effectivité de ces droits. » La précarité force les institutions à se restreindre financièrement, jusqu’à l’indécence selon lui. Depuis qu’il est pacsé, l’aide financière pour adultes handicapés (AAH) de sa compagne, handicapée et sans emploi, a été dévalorisée de 70%. « Indexer l’AAH sur le revenu du conjoint crée un déséquilibre, souligne-t-il. Un lien de subordination d’autant plus dangereux lorsqu’on sait que quatre femmes handicapées sur cinq sont battues par leur conjoint ».
Détresse au combat
Pour une personne handicapée, demander ses droits relève du parcours du combattant. Le premier maillon de la chaîne administrative, c’est la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH). Après évaluation des dossiers, elle oriente les bénéficiaires vers les aides et les structures les plus adéquates. Mais le délai est énorme : entre 6 et 8 mois. Qui plus est, le rapport d’activité 2018 de la MDPH montre que les demandes traitées sont en baisse de 24 % par rapport à l’année précédente. Cette diminution est justifiée par « le nombre de demandes reçues et une hausse du délai de traitement ». En 2018, la MPDH a reçu 101 450 demandes, soit 9 % de plus qu’en 2017. Une situation qui pourrait pourtant se désengorger.
« Tous les cinq ans, je dois refaire des dossiers et attendre des mois entiers pour mon fils autiste de 44 ans », explique Marguerite*. Seule une minorité de personnes handicapées dispose de ses droits à vie, et ce depuis le 1er janvier 2019 seulement. Pour cette membre d’une association de parents d’enfants handicapés, c’est un non-sens : « Ça alourdit leurs tâches. Mon fils est autiste depuis tout petit et va le rester, je ne vois pas pourquoi je devrais refaire les procédures à chaque fois. » Ces renouvellements de droits sont une des causes de la saturation de toutes les structures d’aides.
Avec son association, elle rencontre tous les jours des personnes en détresse. Ces jours-ci, elle vient en aide à une mère et son fils autiste de 28 ans. La MDPH l’a orienté vers un FAM (Foyer d’accueil médicalisé). Mais aucune place n’est disponible. Alors il vit encore chez sa mère. « Elle a arrêté de travailler. Elle et son fils sont complètement isolés, explique Marguerite. De notre côté, on bidouille. On a trouvé un accueil temporaire une semaine par mois à son fils. L’État ne parle que d’insertion mais ce simple exemple prouve que la réalité est tout autre ».
« Tout fait baisser les bras »
Marie-Laurence Helbert est cheffe d’un SAMSAH, service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés. Cette structure créée en 2005 propose de la rééducation et de la réadaptation aux personnes handicapées afin de les réinsérer dans la société. C’est un des nombreux services vers lesquels la MDPH peut orienter les bénéficiaires. Mais là encore, la quête est longue pour y accéder : argumentaire, certificats médicaux, justificatifs de domicile et d’identité etc. La cheffe de service soupire : « si vous ajoutez nos délais – environ trois mois – à ceux de la MDPH, l’attente peut dépasser un an. » Mme Helbert justifie ces délais par un manque cruel de moyens financiers et humains. Elle lance sans attendre de réponse : « J’ai un assistant social pour 80 dossiers constants. Comment voulez-vous qu’on aille plus vite ? ».
Mme Helbert en est persuadée : le casse-tête administratif décourage les ayants droit. « L’aide aux personnes en situation de handicap est devenue un mille-feuille administratif, déplore-t-elle, et c’est sans parler du jargon aux termes barbares ». MPDH, SAMSAH et autres SAVS – une structure similaire -, IME, FAM … « Tout fait baisser les bras ». Le numéro unique annoncé par le gouvernement, elle n’y croit pas vraiment. « C’est un numéro national parmi tant d’autres alors que nous devons travailler en proximité. » déplore-t-elle. Des structures centralisatrices existent déjà : les PAT, – Pôles autonomie territoriaux – énième terme jargonneux. Leurs caisses sont vides. Mme Helbert s’exaspère : « Ils sont en train de recréer quelque chose qui ne fonctionne pas, c’est de la poudre aux yeux ». D’autres mesures, comme l’attribution des droits à vie à un nombre de personnes plus important, suscitent un plus grand intérêt. Avec cette mesure, ils n’auraient plus besoin de replonger à nouveau dans cette machine administrative infernale.
*Les prénoms ont été modifiés.