Depuis 1997, des comprimés d’iode sont distribués dans un rayon de 10 kilomètres autour de chaque centrale nucléaire. Mais ce rayon a été étendu à 20 kilomètres en 2016 et depuis, préfectures, mairies et pharmacies se regardent en chien de faïence en attendant que les choses se fassent.
Tchernobyl. La simple évocation de cette bourgade ukrainienne terrifie même les esprits les plus Areva-compatibles. Il faut dire que ce nom est ancré dans toutes les mémoires, désignant la pire catastrophe nucléaire du XXème siècle, survenue le 26 avril 1986.
Trente ans plus tard, jour pour jour, Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement annonce, en guise de célébration d’anniversaire, l’extension du périmètre de protection autour des centrales nucléaires françaises, qui passe de 10 à 20 kilomètres. Et presque trois ans après cette décision, rien n’a changé autour de la centrale nucléaire du Blayais.
Extension du domaine de la lutte
Il y a pourtant bien eu un arrêté préfectoral signé le 30 mai 2018 par les préfets de la Gironde et de la Charente-Maritime. Ce document approuve l’extension du périmètre du Plan Particulier d’Intervention (PPI) autour de la centrale du Blayais.
Dans les faits, un PPI étendu signifie que des mesures de vigilance, d’alerte et d’intervention doivent être prises. Et côté prévention, des comprimés d’iode doivent être distribués dans les nouvelles communes concernées, soit celles se situant entre 10 et 20 kilomètres autour de la centrale.
En cas d’accident nucléaire, de l’iode radioactif est rejeté dans l’atmosphère. Prendre un comprimé d’iode non radioactif permet de saturer la glande thyroïde et empêche l’iode radioactif de se fixer sur la glande. Une manière d’amoindrir le risque de cancer de la thyroïde.
C’est là que le bât blesse. Les distributions d’iode dans ces communes n’ont pas encore eu lieu. Pire, les acteurs concernés que sont les maires et les pharmaciens sont peu, voire pas du tout au courant de cette affaire.
De quoi donner des frissons dans le dos car si un incident nucléaire similaire à celui d’il y a 20 ans venait à se reproduire, peu de monde pourrait prendre son comprimé d’iode.
Pas de comprimés avant septembre
Alors pourquoi les pastilles d’iode ne sont-elles pas encore parvenues aux communes concernées ? La principale raison est la lenteur administrative. Dessiner le nouveau périmètre n’a pas forcément été chose aisée lorsque l’on sait que deux départements sont pris en compte (la Gironde et la Charente-Maritime) et que certaines communes comme Hourtin ou Saint-Fort-sur-Gironde ne sont concernées que partiellement.
La préfecture de Gironde nous a indiqué que l’arrêté d’extension du PPI « est le fruit d’une concertation menée avec les élus des trois arrondissements de Blaye, Lesparre et Jonzac ». Passer de 23 à 82 communes, ce n’est pas une sinécure.
Une fois le découpage des communes fait, encore faut-il distribuer l’iode. « La campagne d’information et de pré-distribution d’iode préventive débute juste et concernera les riverains à compter du mois de juin 2019 », déclare la préfecture. On ne parle là que de communication.
Pour que les cachets se retrouvent vraiment dans les chaumières, il faudra attendre « après l’été, en septembre ». Et ça c’est dans le meilleur des cas. L’actualité aimant venir jouer les trouble-fêtes, l’ex-préfet de Gironde Didier Lallement a été nommé préfet de police de Paris le 20 mars dernier, pour remplacer Michel Delpuech, limogé. Ce qui risque d’encore ralentir le processus de distribution.
« Qui aurait dû nous avertir ? »
Sur le terrain, à Blaye (commune à 15km de la centrale, qui fait maintenant partie du PPI), les esprits sont encore peu tournés vers les comprimés d’iode. À l’accueil de la mairie, les réponses à nos questions sont chaotiques : « Ce n’est pas nous qui gérons les comprimés. […] Nous devons avoir des stocks quelque part… ».
Le maire de Blaye, Denis Baldès, électrotechnicien de formation et ancien salarié de la centrale, est quant à lui au parfum. « Je viens justement de recevoir un courrier à ce propos ». La gestion de cette distribution de comprimés ne semble d’ailleurs pas le traumatiser : « Je préfère gérer ça que la perte de 500 000 euros de dotations publiques sous le gouvernement de Manuel Valls », plaisante-t-il.
À cent mètres de là se trouve la pharmacie de l’Alliance. Évidemment, aucun comprimé d’iode n’est disponible mais surtout personne n’est au courant que Blaye fait maintenant partie des communes du PPI.
« Qui aurait dû nous avertir ? », se questionne une pharmacienne, surprise face à la nouvelle. « Est-ce que les gens savent où ils ont rangé les boites ? En ont-ils assez pour le nombre de personne présentes sous leur toit ? ». Autant de questions auxquelles la pharmacienne, accompagnée d’un collègue, ne peut répondre. Ils sont les premiers à paraître inquiétés.
L’iode à la joie
Il apparaît clairement que la distribution des comprimés d’iode souffre d’un déficit d’information et de communication. Pourtant, Patrick Maupin, chargé du dossier climat et énergie à Greenpeace Bordeaux nous confirme qu’une « consultation publique a eu lieu du 08 décembre au 21 janvier, uniquement dans les nouvelles communes concernées par le PPI ». Problème, le PPI est souvent « seulement consultable en mairie, avec des horaires peu appropriés ». Mais surtout, « les gens ne savent même pas qu’il y a quelque chose à consulter », se désole Patrick Maupin.
Les comprimés d’iode sont-ils vraiment efficaces ? Ils doivent être ingérés quelques heures avant le passage du nuage radioactif pour être efficaces. Et il ne faut pas oublier qu’en cas d’accident, d’autres matières radioactives sont rejetées comme le césium 137 qui peut engendrer des pathologies cardiaques…
La dernière campagne nationale de distribution de comprimés d’iode remonte à 2016. Un an plus tard, au 31 mars 2017, seulement 49% des particuliers concernés par le PPI dans le Blayais avaient retiré leurs comprimés en pharmacie. Pour les autres, les cachets ont été envoyés par voie postale à leur domicile.
Alors, préfecture, mairies, pharmacies, particuliers, tout le monde prend le problème à la légère ? Pas vraiment. Au coin des visages que nous avons rencontrés, nous avons surtout vu des sourires gênés mais lucides. En cas d’accident à la centrale nucléaire du Blayais, pas sûr que les comprimés d’iode soient suffisants.