Edwy Plenel : « Une presse libre et indépendante, c’est un pilier de la démocratie »

Le président et cofondateur de Médiapart présentait mardi 12 février à l’Utopia de Bordeaux le film Depuis Médiapart de Naruna Kaplan de Macedo, en salle le 13 mars prochain. L’occasion pour lui de revenir sur la façon dont le journal indépendant appréhende l’actualité. Mais aussi de démontrer que Médiapart s’impose comme un véritable contre-pouvoir. 

Depuis Médiapart offre un regard sur les présidentielles 2017 à travers une immersion au sein de votre rédaction. Le contexte politique était alors particulier, ébranlé par un effacement des partis politiques traditionnels au profit de nouvelles forces comme En Marche. Ce bouleversement politique a-t-il déstabilisé votre façon de couvrir cet événement ? 

Edwy Plenel : Au tout début de la présidentielle, j’ai dit à l’équipe de Médiapart : « Rien ne se passera comme prévu ». On en a fait d’ailleurs un slogan. Et la suite l’a démontré : rien ne s’est passé comme le prévoyaient les appareils politiques, comme l’auguraient les commentateurs professionnels et les soi-disant présidentiables officiels. C’était un chamboule-tout général. D’un point de vue journalistique, nous avons dû travailler autrement : ne pas prédire l’avenir, être ouvert à l’événement, à ses surprises et ses étonnements.

Vous parlez de « chamboule-tout général ». Comment la rédaction de Médiapart s’est-elle adaptée à cet échiquier politique inédit ? 

Edwy Plenel : Il était évident que le tandem Hollande-Valls avait nécrosé la gauche, de même pour le sarkozysme à droite. On a dû faire face à de nouvelles dynamiques qui se sont créées hors des partis traditionnels, comme la France Insoumise et En Marche. Ces forces présentaient évidemment un côté rassembleur. Mais aussi des ambiguïtés car elles s’inscrivaient alors entre un vieux monde – celui de gauche pour la France Insoumise, celui de droite ou d’Etat pour En Marche – et un nouveau monde avec ses illusions, ses désirs et ses bonnes volontés. Malgré ce contexte, on a fait notre travail, c’est-à-dire enquêter, informer et ne pas regarder a priori. C’est exactement ce que nous faisons aujourd’hui lorsque nous couvrons le mouvement des Gilets jaunes : on ne dit pas d’emblée qui ils sont, mais on va voir. 

Votre ligne éditoriale libre et indépendante vous donne-t-elle le sentiment d’être à l’avant-garde de la contestation politique, comme des lanceurs d’alerte ? 

Edwy Plenel : C’est vrai que Médiapart, depuis sa création, a pour but de mettre à l’agenda de la société des questions qui sont tues, étouffées, non-révélées. C’est notre ADN. À l’image de notre logo, notre ligne éditoriale est « Lisez-nous, parce que vous lirez des choses que vous ne lirez pas ailleurs ». On traite l’ensemble des grands sujets, aussi bien des questions économiques ou politiques comme l’évasion fiscale, que des questions de vertus républicaines ou de société. Mais on essaie d’être dans ce que j’appelle « la valeur de l’information » et d’apporter une plus-value. Par exemple, bien avant Me Too, Médiapart a posé la question du silence, même de l’absence d’écoute, des femmes victimes de harcèlement et d’agression sexuelle dans des milieux de pouvoir masculin. Cela nous a valu un procès, intenté par Denis Baupin, qui a eu lieu la semaine dernière.

On tente très souvent de vous mettre des bâtons dans les roues, en témoignent la tentative de perquisition de votre journal le 4 février dernier et vos nombreuses assignations en justice. Comment votre rédaction gère-t-elle ces entraves ? 

Edwy Plenel : Il faut se battre. Mais on est habitué aux procès, qu’on gagne pour l’immense majorité, et aux campagnes de calomnies récurrentes. Ce sont de longs marathons : regardez l’affaire libyenne avec Monsieur Sarkozy qui a prétendu qu’on avait publié un faux document. Mais on a gagné le procès.
C’est triste de voir une rédaction se battre aussi souvent. À l’image de la faible intensité de notre culture démocratique, notre monde médiatique est trop peu attentif à la nécessité de ce qu’on appelle en anglais a free and independent press. Une presse libre et indépendante, c’est un pilier de la démocratie. Médiapart défend cette idée toute simple que le droit de savoir est un droit fondamental, plus important que le droit de vote. Hélas aujourd’hui, beaucoup d’univers politiques de tout bord ont tendance à relativiser cela.

Se battre pour une presse libre et indépendante, c’est aussi accepter la critique des médias et du journalisme. Quel regard portez-vous sur ce débat ? 

J’ai toujours dit que la critique du journalisme était légitime. Je la pratique moi-même à l’égard d’un certain journalisme, je mène une bataille dans ma profession. Médiapart étant un journal participatif, on a le droit de nous critiquer et de nous remettre en cause dans les blogs du journal. Ça, c’est une chose. En revanche, la haine du journalisme en est une autre. La détestation en bloc de la nécessité d’une presse libre et indépendante, qui n’a pas de fil à la patte, ni partisan, ni économique, ni idéologique, est une haine de la démocratie. D’où qu’elle vienne, c’est très dangereux. 

Question à part : avez-vous des informations en réserve concernant l’affaire Benalla ? 

Edwy Plenel : Vous savez, Médiapart, c’est comme un restaurant : ça n’existe que lorsque c’est servi en salle. Ce qui se passe en cuisine, on le garde pour nous. Mais le feuilleton va continuer. 


Propos recueillis par Félicie Gaudillat
Avec Alix Fourcade (photo)



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