Après «Révolution», le best seller de l’ex-banquier devenu président, après le slogan «ni droite ni gauche», voici donc le dernier tour de magie d’Emmanuel Copperfield : le Grand Débat National, une campagne cachée pour les élections européennes.
Mis à mal par les Gilets Jaunes, le gouvernement cherche à reprendre la main en organisant un Grand Débat National. L’objectif affiché est vendeur : aller à la rencontre de la France des oubliés, pour échanger et trouver des solutions concrètes à leurs revendications.
Mais tant par son organisation que par les thèmes qui y sont abordés, ce moment démocratique ressemble d’avantage à une tentative de reconquête de l’électorat pour l’exécutif. A trois mois des élections européennes, ce grand débat est une aubaine pour LREM qui n’a toujours pas commencé sa campagne. Transformer un dialogue national en tremplin pour les européennes, voici une stratégie à double tranchant pour Emmanuel Macron.
ACTE I – Le Grand débat : l’illusion démocratique
Le 18 décembre 2018, Emmanuel Macron annonce la tenue d’un grand débat sur tout le territoire pour tous les français, afin de répondre à la crise des Gilets Jaunes qu’il a lui-même provoqué. Problème, l’exécutif impose les termes de la discussion et choisit ses fidèles pour piloter le débat. Chantal Jouanno est écartée au profit de Sébastien Lecornu, ministre chargé des Collectivité locales et Emmanuelle Wargon secrétaire d’Etat à l’écologie. Dès le départ le grand débat ressemble plus à un think tank LREM qu’à une véritable réponse à la grogne.
4 thématiques au programme : fiscalité et dépenses publiques, défense écologique, démocratie et citoyenneté enfin organisation de l’État et des services publics.
A première vue, l’Europe est la grande absente du débat mais là est l’astuce. Les thématiques abordées restent nationales, certes, mais les solutions impliqueront d’une manière ou d’une autre l’Europe. Après tout, depuis le début de son quinquennat, le président martèle que l’avenir du pays ne peut s’envisager sans l’Union européenne. « Je crois dans un budget européen […] qui défendra la convergence économique, fiscale et sociale » a-t-il déclaré à Aix-la-Chapelle en mai 2018. Mais comme pour la présidentielle de 2017, le chef d’Etat fait une grande partie de sa campagne européenne sans programme concret. Celui-ci ne sera dévoilé qu’en mars.
ACTE II – Un président qui voit double
Pour ajouter à la confusion Macron lance l’idée d’un référendum pour clôturer les 2 mois de débat national. En d’autres termes, exit le RIC (référendum d’initiative citoyenne) des Gilets Jaunes, pour un référendum cuisiné à la sauce LREM, ni sel ni poivre. Et la date envisagée serait … le 26 mai, soit le jour des élections européennes. Le président justifie ce choix en expliquant ne pas vouloir surcharger le calendrier électoral. Mais il fait l’objet de vives critiques tant par l’opposition que par une partie de la majorité, qui craignent une confusion des enjeux chez les électeurs.
« L’enjeu européen est suffisamment fort (…). Le référendum, c’est autre chose, c’est un enjeu national. Je ne pense pas qu’il faille mélanger les deux (…) ce n’est pas souhaitable », a estimé le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, invité de France Inter lundi 4 février. Mais on l’a bien compris, pour conquérir son électorat, le président a tout misé sur ce mélange des genres : allier le national à l’européen.
ACTE III – Une victoire à la Pyrrhus ?
Crédité de 23 % d’intention de votes aux européennes, LREM arriverait en tête des élections avec seulement 2 points d’avance sur le RN, un écart qui était de 10 points il y a encore 1 an. Dans ce cas de figure, Macron retrouverait en partie sa légitimité et mettrait à mal les Gilets Jaunes convaincus de peser dans l’espace public. Une des conséquences pourrait être le renforcement de sa rhétorique sur le caractère soi-disant antidémocratique de la contestation de rue. L’unité de son parti pourrait également être renouvelée. Des voix discordantes se font entendre au sein de la majorité depuis un an et 50 députés LREM se sont abstenus lors du vote sur la loi au nom trompeur “anti-casseurs”, le 5 février dernier.
En s’attardant sur le grand débat national au détriment de sa campagne européenne, le président joue quitte ou double. Finalement, le 26 mai sera le jour “test” pour l’exécutif, qui y jouera les conclusions de cette parenthèse “démocratique” et sa place au parlement européen. Pour l’instant, le président peut tout de même se rassurer. D’après un sondage Ifop publié hier et réalisé en ligne les 31 janvier et 1er février, sa côte de popularité remonte pour le deuxième mois consécutif. 54 % des Français estiment qu’il défend bien les intérêts du pays à l’étranger, et “en même temps” … 74 % trouvent que Macron n’est pas proche de leurs revendications. Rien n’est joué… Dans tous les cas les élections européennes seront une victoire à la Pyrrhus pour l’exécutif. Elle leur sera très probablement contestée car bâtie sur un débat tronqué.
(Montage photo par Romain Dybiec)