Une centaine de personnes s’est mobilisée ce lundi 12 février à l’occasion de l’opération escargot à Villenave d’Ornon (Gironde) suite à l’appel du collectif des infirmiers libéraux en colère. Ils et elles réclament de meilleures conditions de travail. Sur place, trois infirmières témoignent de leurs difficultés au quotidien.

Après les agriculteur·rices, cette fois, ce sont les infirmier·ères libérales⸱aux qui lancent une nouvelle vague de mobilisation dans plusieurs villes de France pour protester contre la dégradation de leurs conditions de travail : revenus trop bas, absence de revalorisation des tarifs des actes techniques depuis 15 ans, avenir inquiétant pour les cabinets, manque de reconnaissance, retraite tardive et absence de reconnaissance de pénibilité. Bayonne, Dijon, Gap, Marseille … Ce lundi, à Bordeaux, les infirmier·ères ont décidé de faire entendre leur voix en organisant une opération escargot qui a démarré du parking du CGR de Villenave-d’Ornon. Destination : le siège de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Bordeaux.

Soignant·es mal rémunéré·es

Une enquête du syndicat Convergence infirmière réalisée en décembre 2022 auprès de 6 162 participants montre que 73,5% des infirmièr·e·s libérales⸱aux ont constaté une baisse de revenus ces dernières années et que pour 94% des participant⸱es les conditions de travail se sont dégradées. Pour la grande majorité d’entre elles et eux cette dégradation est due à un « excès de paperasse », des «contraintes administratives” en augmentation et une “baisse des revenus”

Les infirmièr·es libérales⸱aux s’accordent notamment à dire que leurs charges ont augmenté. « On a perdu 30% de pouvoir d’achat », déplore Okany Calixte (Cap Ferret). Elle dénonce le manque de revalorisation depuis 2009 qui ne compense pas l’augmentation des charges avec une inflation de 30%. Céline Tauzin est quant à elle, « très très en colère » d’être taxée à 64%.

Pour Anne-Laure Issalene qui exerce dans le secteur d’Artigues-près-de-Bordeaux, sa voiture est son outil de travail : elle y passe 4 à 5 heures par jour. Quand les prix de l’essence ont fortement augmenté, la légère hausse des taux de remboursement n’a pas été suffisante.

Pour Céline Tauzin, ils et elles font « du bénévolat sur beaucoup de choses ». Okany Calixte ne comprend pas que tous les actes effectués ne sont pas pris en compte et elle estime qu’elles ne sont pas du tout payées à leur juste valeur. D’autant plus qu’ils et elles font beaucoup de « hors-métiers » tel que la préparation de petit-déjeuner, des piluliers ou encore aller chercher les ordonnances du patient chez le médecin. « Nous sommes des mamysitters et papysitters non reconnus ! », lâche-t-elle sur un ton sarcastique.

Défense de tomber malade

Le collectif des infirmiers en colère souhaite la reconnaissance de la pénibilité du métier. Céline Tauzin a eu un arrêt de travail suite à une intervention chirurgicale et a décidé de reprendre «le travail contre avis médical» au regard des délais d’indemnisation qui ne couvraient finalement même pas ses charges. Même constat pour Anne-Laure Issalene qui a dû financer ses charges professionnelles et personnelles avec le seul salaire de son conjoint suite à un arrêt de travail de 2 mois l’été dernier. Pour la soignante, c’est un métier où l’on se casse le dos au quotidien et en augmentant l’âge de départ à la retraite cette pénibilité n’est pas prise en compte. Pour Okany Calixte, « 67 ans physiquement c’est impossible ! ».

Réorientation et adaptation contraintes

Beaucoup souhaitent changer de métier, au vu de la difficulté de ce dernier. C’est le cas de Céline Tauzin, elle se renseigne pour envisager une reconversion; elle avoue que l’une des raisons de ce choix est lié à la facturation, «La facturation auprès de la sécurité sociale était un très grand stress, psychologiquement c’est très dur». C’est aussi le cas pour plus de la moitié des infirmiers, qui ont répondu au questionnaire, 56.3% d’entre eux ont avoué qu’ils envisagent de changer de métier dans les 5 prochaines années, pour des raisons de fatigue/stress, de mauvaise rémunération, pour des raisons de contraintes liées au métier (amplitudes horaires, travail le week-end, etc.), impact sur la vie privée et le manque de considération.

Tous ces facteurs obligent les infirmières à changer leur mode de travail que ce soit le périmètre de travail, le nombre de patients ou même les soins à effectuer. Anne-Laure Issalene et Okany Calixte ont décidé de limiter leurs trajets. «Je rentre et sort entre 40 et 50 fois de la voiture par jour, sur une amplitude horaire de 14 heures», témoigne Anne-Laure Issalene. Okany Calixte, elle, estime que réduire les déplacements et le nombre de la patientèle est «nécessaire» puisque ce qu’ils gagnaient avant n’était pas «rentable» par rapport à tous les déplacements. Elle a aujourd’hui une vingtaine de patients dans deux villes différentes, pour pouvoir consacrer plus de temps avec eux et faire « un meilleur boulot ».

Lorea Mailharrancin et Julene Muruaga Hiriart

Toutes ces difficultés amènent les infirmières à prioriser certains soins. « La situation s’est clairement détériorée. Ça m’est déjà arrivé de refuser des soins parce que c’était des injections tous les jours pendant un mois et demi mais c’était trop éloigné. Je passais plus de temps sur la route pour être payée 4 euros net », Anne-Laure Issalene.
La pénibilité du métier n’est pas reconnue : « Pour survivre financièrement, j’ai repris le travail contre avis médical », Céline Tauzin.
«On ne fait pas que notre métier d’infirmière, on est coiffeuse, on est assistante sociale, on est psychologue, on est auxiliaire de vie». Okany Calixte
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