Housing Games

DYSTOPIE. Nous sommes en 2100. À Bordeaux, la crise de logement atteint son paroxysme. Pour y faire face, la Métropole lance, en collaboration avec Méta, les Housing Games, une compétition virtuelle organisée chaque année, avec à la clé un appartement dans l’une des seules zones encore habitables de la ville. 

6 avril 2100. 7h30. L’alarme stridente retentit. C’est le grand jour pour Myriam, qui souffle ses 85 bougies. Elle enfile vite ses bottes et se dirige vers sa salle de bain. Comme tous les jours depuis une semaine maintenant, le sol se dérobe sous ses pieds. Plusieurs centimètres d’eau se sont encore infiltrés dans son 15 m2 situé au bout du cours de la Marne. L’ancienne footballeuse professionnelle vit au rythme des crues : un réagencement des meubles est nécessaire tous les quatre matins. De l’étagère toujours plus haute, elle peine à attraper sa crème pour l’eczéma. Sa peau écaillée s’habitue à l’humidité, « mais pas à la douleur », marmonne-t-elle. Le hasard faisant bien les choses, Myriam a enfin été tirée au sort pour participer aux Housing Games le jour de son anniversaire. Elle va peut-être réussir à remporter le gros lot : un logement dans la zone A, l’un des rares espaces de la ville encore habitable. 

Chasseurs d’appart

Après la succession des catastrophes naturelles en Gironde, trouver un logement est devenu un casse-tête sans nom. Les inondations de 2050 représentent en ce sens un tournant. Grand Parc, Bastide ou encore Belcier : tous ces quartiers ont été détruits. Les valeureux·ses habitantes et habitants qui ont pu résister demeurent dans des logements pour la majorité insalubres mais toujours occupés, faute d’alternatives. Face à l’inaction de l’État, la Métropole s’associe donc à Méta, firme multinationale et leader dans le domaine informatique, pour lancer les Housing Games

Une opération de déforestation dans plusieurs parcs de la ville est lancée. Le but : y construire des logements hyperconnectés. Et, chaque année, un appartement est attribué au lauréat de la compétition. Serait-ce la solution pour résoudre la crise du logement ? Pour le géant numérique, oui. Parce que le temps presse et l’étau se resserre. Aujourd’hui, seule 40% de la surface de l’ancienne ville échappe à la montée des eaux. 

La Bordelaise sait qu’elle n’est pas la favorite, mais l’heure n’est plus au doute. Certes, son mental est assez fort pour lui permettre de supporter l’insalubrité, mais ses appareils respiratoires ne vont plus tenir très longtemps. Elle vit dans un appartement décrépit qu’elle a aménagé avec « les moyens du bord ». L’octogénaire refuse de se plaindre, car le « goût de l’aventure » ne la quitte pas. 

Puisse le sort vous être favorable 

C’est dans les locaux de Méta à Bordeaux qu’a lieu le concours. À mi-chemin entre la réalité et la fiction, le jeu combine labyrinthes, énigmes et épreuves physiques. À chaque niveau, les participantes et participants sont confronté·es à une catastrophe naturelle et doivent envisager plusieurs scénarios pour l’éviter. 

Myriam s’impatiente. Palpitations, gouttes de sueur sur le front et mains moites : le stress monte progressivement. Elles et ils sont une cinquantaine à attendre, masque VR sur la tête et combinaison enfilée. 

11h. Tous et toutes sont en place. Le coup d’envoi est lancé. 

Niveau 1. Sous un doux soleil d’avril, un long fleuve, une grande place avec un carré d’eau peu profond. Myriam reconnaît le lieu. De vagues souvenirs lui reviennent. C’est le miroir d’eau. L’un des lieux emblématiques de Bordeaux disparus après le cyclone Atlantide, en avril 2025. Qui se serait douté que la région connaîtrait l’une des catastrophes naturelles les plus importantes de son histoire ? Les joueurs ont 4 heures pour éviter le chaos. Myriam s’impose comme la plus stratège, et réunit les habitant.es à la base sous-marine. 

Niveau 2. Direction 2030, fameuse année de sécheresse et de famine en Nouvelle Aquitaine. Beaucoup se laissent submerger par le stress et la fatigue et n’ont plus la force de continuer. Myriam reste dans la course. Son abnégation est un atout. L’ancienne joueuse  de L’Étoile Rouge a encore une longueur d’avance. 

Niveau 3. Retour vers les inondations de 2050. Myriam se retrouve face à face avec une autre participante, sur le toit de la célèbre Cité du Vin. Dans une ultime confrontation, les deux championnes doivent utiliser leur dernière arme : un taser à ondes magnétiques. L’octogénaire est finalement éliminée.  

Game Over 

Myriam a à peine le temps d’enlever son casque qu’un robot la raccompagne sur le quai. Le rêve d’une fin de vie apaisée lui a filé entre les doigts. Sa défaite semble fâcher le ciel. L’orage gonfle. La vieille dame marche difficilement vers son appartement et jette un dernier regard sur la Garonne, où une épaisse brume s’installe. Elle songe à ces années perdues. Comment s’est-elle retrouvée là ? Pourquoi les alertes des scientifiques n’ont-elles pas suffi ? Elle trouvera peut-être ces réponses dans les rapports du GIEC, trop vite tombés dans l’oubli. 

Candice Mazaud-Tomasic et Siham Nassef


Cette dystopie pourrait devenir réalité si des actions concrètes et radicales ne sont pas entreprises dès maintenant. Le 12 octobre 2021, les scientifiques du Climate Central, groupe d’experts environnementaux, ont publié différentes projections sur la montée des eaux dans le monde. 

Rédigé en collaboration avec des chercheurs et chercheuses de l’Université de Princeton et de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact climatique en Allemagne, le rapport présente les scénarios du réchauffement de 4°C et 1,5°C. Deux analyses qui correspondent aux potentielles trajectoires de réductions d’émissions carbone.

Les rives de la Haute Gironde et du Médoc disparaîtraient, mais aussi la rive droite de Bordeaux, les quartiers des Chartrons et de Bacalan. Source : Climate Central

La place des Quinconces complètement submergée à +3°C en 2100. Source : Climate Central

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