Transports en commun : gratuité mal ordonnée

Bordeaux Métropole a élargi en septembre 2021 son dispositif de tarification solidaire. Un soutien aux plus précaires suffisant pour la majorité, qui a signifié son souhait de ne pas aller vers une gratuité totale. Mais certain·es élu·es la réclament. Alors est-ce possible, et surtout, est-ce utile ?

Imaginez. Place de la Victoire, à Bordeaux, le tram B approche. Vous montez à bord, sans valider, et foncez vous lover sur un siège. Pas de panique, aucun·e contrôleur·se ne risque de vous importuner : les transports en commun sont gratuits. Un doux rêve pour les étudiant·es fraudeur·ses régulier.es.

Impossible à financer, néfaste pour la qualité du service, inéquitable… La gratuité totale des transports en commun (TEC) fait l’objet de nombreuses critiques. Plusieurs villes en Europe, l’ont toutefois déjà mise en place (voir carte interactive)

Une tarification solidaire pour les transports bordelais

À Bordeaux Métropole, la gratuité est réclamée par une poignée d’élu.es d’extrême-gauche, qui souhaitent aller plus loin que la tarification solidaire. Développée depuis septembre 2021, cette mesure est pourtant ambitieuse. En effet, la tarification solidaire se base sur les revenus des foyers, et non plus sur le statut des usager·es (chômeur·se, ancien·ne combattant·e…) et concerne 40 % des ménages selon la Métropole. Moins les ressources sont importantes, plus la réduction est grande, jusqu’à la gratuité pour les foyers en dessous du seuil de pauvreté. 

Alors pourquoi étendre la gratuité à tous·tes ? En juillet dernier, lors des discussions du conseil métropolitain sur la mise en place des nouveaux tarifs, les élu·es communistes avaient avancé leurs arguments. Claude Mellier, vice-présidente déléguée aux grandes infrastructures de transport routières et ferroviaires, arguait alors le droit aux transports pour tous·tes. « Il faut permettre au plus grand nombre d’avoir accès à une mobilité, indispensable pour la formation ou la recherche d’emploi. »

Une position qui la motive aujourd’hui à préparer une nouvelle mouture de la tarification solidaire. « En prenant en compte les revenus des foyers, on a mis de côté certaines personnes, en situation de handicap ou au chômage par exemple. Il faut y remédier », explique l’élue communiste. Avant de renouveler son souhait : « La gratuité pour tous doit être un objectif, mais il faut l’atteindre progressivement. »

Outre son aspect social, la gratuité est aussi vantée par ses promoteurs pour ses vertus environnementales et son potentiel d’amélioration de l’attractivité territoriale. Des qualités certaines ? Pas si simple.

La gratuité pour tous·tes, vraiment sociale ?  

Vrai. Qui dit frais en moins, dit hausse du pouvoir d’achat. Un gain d’autant plus important pour les classes populaires, pour qui le coût des déplacements peut mobiliser une part importante du budget

Mais comme le détaille la Fédération nationale des usagers des transports (FNAUT), il n’est pas nécessaire de recourir à la gratuité pour tou·tes pour toucher les portefeuilles des plus précaires. Au contraire, des mesures ciblées, comme celles de Bordeaux Métropole, semblent privilégiées. 

La gratuité attractive pour le centre-ville ?

On ne sait pas. Si la gratuité génère une hausse importante de la fréquentation, et donc plus de public en centre-ville, il faut regarder dans le détail. Selon Guillaume Pouyanne, maître de conférences en économie urbaine à l’Université de Bordeaux, « c’est plus complexe qu’une simple masse de population supplémentaire. Tout dépend des populations concernées, si elles prenaient déjà les transports en commun avant, si le prix est un élément important pour elles, etc. »

La gratuité au service de l’environnement ?

Faux. Et c’est surprenant. Les exemples existants démontrent que le report modal, c’est-à-dire le changement de moyen de transport, est relativement faible en cas de gratuité. En France, se déplacer en voiture au quotidien coûte en moyenne 16 fois plus cher qu’avec les transports en commun. Et pourtant, dans une étude de l’INSEE publiée en 2017, 74 % des actif·ves affirmaient utiliser la voiture comme mode de transport privilégié pour se rendre au travail. À l’inverse, seul·es 16 % empruntaient les transports en commun. Le problème n’est donc pas tant le prix que la qualité du réseau. D’ailleurs, dans les études d’opinion, les usager·es placent le prix du service loin derrière la fiabilité, la ponctualité ou le confort. La hausse de fréquentation des TEC correspondrait donc à une augmentation du nombre total de trajets plus qu’à un élargissement de la clientèle. 

Mais il faut reconnaître à la gratuité son poids incitatif pour les usager·es occasionnel·les. Et noter qu’à ce jour, seules de petites agglomérations ont franchi le pas de la gratuité (hormis le Luxembourg). Dans le cas d’une métropole de la taille de celle de Bordeaux, très polluée et embouteillée, il n’est pas impossible que la gratuité ait un impact positif.

Alors la gratuité est-elle viable ? 

Oui. « Économiquement, tout est toujours envisageable, assure Guillaume Pouyanne. Mais la question à laquelle il faut répondre est celle du financement. » Pour ce faire, soit on sollicite davantage les entreprises (en augmentant la taxe de contribution des entreprises au réseau de transports), comme le propose Claude Mellier, soit on augmente les subventions publiques. 

Mais avec la hausse de fréquentation, le service sera très sollicité et nécessitera d’importants investissements pour garantir sa qualité. C’est là où le bât blesse. La FNAUT met en garde : la gratuité nuirait à la fonctionnalité du service. À Bordeaux Métropole, l’opposition de droite va plus loin. La gratuité, même partielle, ne met pas en valeur ce service public. En juillet dernier, lors du conseil métropolitain, le maire du Bouscat Patrick Bobet proposait un tarif minimum de 10 % du prix du ticket. « On respecte les choses quand on participe à leur paiement », justifiait-il.

Samuel Cardon et Louis Faurent

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