Un casse-tête pour casser la croûte

Fermer les restaurants. Pour le gouvernement, il s’agit d’une mesure nécessaire pour contrer l’épidémie de la Covid-19. En dehors des amateurs du « bien manger », l’absence d’un endroit pour se restaurer, s’abriter ou se soulager, met certains travailleurs itinérants en difficulté. Et ce depuis presque un an.

« On est obligé de manger dehors. Aujourd’hui, on a la chance qu’il fasse beau « . Autrement Hiep, peintre en bâtiment, aurait dû, comme les semaines précédentes, manger dans son camion. Avec l’impossibilité de manger sur place dans les restaurants, les travailleurs doivent s’adapter pour leur pause déjeuner. La vente à emporter est l’une des solutions, mais pour Laurence, pharmacienne près de la gare à Bordeaux, cela reste insuffisant : « J’habite trop loin pour rentrer chez moi. Je dois manger dans une chambre de garde à l’étage.»  L’impression pesante de partir le matin au travail et de rentrer le soir à l’heure du couvre-feu sans avoir décroché ne serait-ce qu’une demi-heure. « Il m’est indispensable de prendre mon heure de pause, de voir du monde, discuter et changer d’air. J’ai besoin d’une rupture avec le travail ». 

Virgile, chauffeur de taxi depuis 32 ans, partage ce sentiment de grande précarité venue l’heure de la pause déjeuner. « On est soit obligé de manger dehors, soit contraint de se restaurer dans le taxi. Les routiers, eux, ont le restaurant, les sanitaires, les douches, c’est normal… mais nous, on galère ». Des inégalités de traitement existent selon les professions. Les conducteurs routiers se sont longtemps retrouvés dans une situation extrêmement compliquée. Mais, face à la détresse et à la pression de leurs syndicats et des organisations de transporteurs, le gouvernement a finalement lâché du lest en autorisant le 4 novembre dernier la réouverture de 250 restaurants routiers sur tout le territoire.

Quand la pause déjeuner devient une galère

« Le transporteur routier est seul dans son camion. Lorsqu’il fait une pause, il souhaite se reposer, être au chaud et retrouver ses collègues pour garder le lien social essentiel à la profession » explique Nourrédine Ziane, délégué régional du Syndicat Fédération Nationale des Transporteurs Routiers. Aujourd’hui, l’objectif n’est pas une réouverture totale des restaurants routiers, mais la création d’un maillage géographique stratégique pour permettre aux chauffeurs poids-lourds de travailler dans des conditions correctes. Nourrédine rappelle que sans l’ouverture de ces lieux de restauration, l’hygiène de vie des routiers est fortement impactée. « Se nourrir exclusivement de sandwichs n’est pas une solution viable. »

Un des autres problèmes : l’accès aux sanitaires pour les travailleurs itinérants. Selon Virgile « c’est vraiment galère sans les restaurants. Il m’est arrivé de me planquer, ce n’est pas très propre. Il y a des toilettes publiques mais elles sont dans un état déplorable ». La ville de Bordeaux ne possède que 76 sanitaires publics pour environ 256 000 habitants. Un chiffre qui reste très bas selon les préconisations de l’ONU et qui explique les mauvaises conditions hygiéniques de plusieurs d’entre-eux. De plus, les sanitaires ne sont nettoyés que deux fois par jour. « ils sont souvent vandalisés » constate Didier Feydieu, technicien des toilettes publiques à la métropole. 

Les travailleurs proposent leurs solutions 

La fréquentation des sanitaires augmente considérablement. Cette hausse s’explique en grande partie par l’interdiction de la restauration sur place. Dans une brasserie face à la gare, un serveur explique  « les clients s’impatientent de la réouverture et interrogent souvent le personnel sur une date, toujours non-définie à ce jour ».   Parmi sa clientèle, beaucoup de professionnels (commerciaux, chauffeurs de taxis, cheminots…) aimeraient bénéficier d’une dérogation à l’image de celle accordée aux routiers. C’est en tout cas ce qu’espère Hiep : « Un pass pour les travailleurs serait l’idéal. Ça nous permettrait de retrouver la satisfaction d’une pause comme avant le confinement ». Dans l’attente d’une dérogation, les travailleurs espèrent bientôt pouvoir remettre les pieds sous la table.

Hugo Bouët & Abdelmalek Benaouina

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