Rire jaune pour les clowns hospitaliers

Si le confinement a pris fin mardi 15 décembre, des enfants malades, avec un handicap et des personnes âgées restent actuellement isolées en établissements de soins. Les clowns hospitaliers travaillent à rompre leur isolement, par le jeu et le rire. Mais depuis le confinement, cette profession est fragilisée. Rencontre avec deux artistes-clowns girondins.

« On ronge notre frein« , peste Benjamin Viguier. Le comédien incarne le clown Grunt en milieu de soins auprès de l’association bordelaise les Clowns Stéthoscopes depuis 8 ans. Mais la crise sanitaire a mis fin aux interventions de l’intermittent dans les services pédiatriques du CHU Pellegrin. « Les hôpitaux nous ont fermé leurs portes depuis le mois de mars. Et ils n’ont jamais rouvert« . Idem pour Xavier Huneau, fondateur de l’association Les Givrés du Plumeau. L’ex-comptable, reconverti en comédien en 2002, s’adresse aux personnes ayant des troubles autistiques en centres spécialisés.

Si certains établissements interdisent l’accès aux clowns hospitaliers, d’autres ont pu rouvrir, mais avec des restrictions contraignantes. Port du masque sous le nez rouge, et évidemment gestes barrières obligatoires : “Les enfants et adolescents auprès desquels j’interviens ne parlent pas. Ils sont dans leur bulle. Alors pour les distances, c’est compliqué de leur faire comprendre”. 

Une démarche humoristique aux effets thérapeutiques 

Nous ne sommes pas dans une démarche thérapeutique, mais le résultat peut l’être” explique Xavier Huneau. Une épaule, un confident, un compagnon de jeu : le clown s’adapte et improvise. Il offre un lien social neuf, non-connoté : “Nous ne sommes ni médecins, ni éducateurs. Le clown apporte un imaginaire, du partage, du jeu, de l’aide et parfois, il déroge aux règles, il explore un monde extérieur”. Un pas de côté propice à la création de liens avec les familles. Ici, l’objet est aussi d’aider les proches à aborder autrement la maladie, la vieillesse, sans préjugés. Un personnage neuf, singulier, propre à chaque artiste. “Le clown, c’est mon étincelle. Il fait partie de moi et il se manifeste !” revendique Xavier Huneau. 

Du rire dans des établissements de soins sous tension

En Ehpads, le personnel est constamment sous tension” constate Benjamin Viguier. La crainte d’un cluster surpasse les autres préoccupations en milieu hospitalier. L’artiste déplore l’interdiction de visites des clowns en pédiatrie qui subsiste : “On se sent responsables. On aimerait être là pour eux en ce moment.”

De son côté, Xavier Huneau ressent plutôt de la lassitude : “Les éducateurs ne voient pas le bout du tunnel. Du côté des jeunes, je ressens de l’incompréhension. En novembre, ils ne cessaient de demander “Pourquoi Pixel ne vient plus ? «  » Un énième chamboulement des habitudes qui préoccupe l’artiste. Xavier Humeau se souvient de l’accueil qui lui a été réservé à l’IME de Saint-Macaire (Gironde) après le premier confinement : “On était simplement heureux d’être ensemble. On a échangé des regards et des sourires. Des actions « banales », mais qui ont toute leur importance.

Une vraie reconnaissance de leur profession par les soignants

Une fois, un éducateur m’a avoué : vous savez, vous apportez à ces jeunes un temps qu’on ne peut pas leur offrir”. Pixel accorde une attention spécifique à chaque enfant de l’IME, en dehors des planning encadrés par les éducateurs. Une pause et des explorations qui permettent aux enfants de sortir de leurs routines et zones de confort. “Ces moments ne peuvent pas forcément être assurés par les professionnels de l’Institution sans mon intervention. Toutes leurs activités sont plus encadrées.”

De son côté, Benjamin Viguier n’intervient plus qu’en Ehpads. Depuis l’automne, les onze artistes des Clowns Stéthoscopes rendent régulièrement visite à cinq établissements de la métropole. Le comédien a le sentiment d’apporter du sensible dans ces milieux confinés. Du partage, des émotions, des rencontres et de la nouveauté. “Ce qui a changé, c’est le manque d’échanges, de flux dans les couloirs.” rapporte-t-il. Depuis le premier déconfinement au mois de mai, les visites sont limitées : les familles ne peuvent s’attarder dans les couloirs comme à l’accoutumée. “Quand nous avons pu réintégrer les Ehpads, les résidents étaient contents de nous voir et très demandeurs. Ils avaient besoin de contacts, de chaleur” a constaté Benjamin Viguier. 

Un métier fragilisé depuis le confinement 

La frustration anime les deux comédiens. Xavier Huneau évoque même “un dilemme” : “Beaucoup de patients et personnes âgées sont isolés. Avec notre absence dans de nombreux établissements, ce sentiment ne peut que s’accentuer.” 

L’avenir reste trouble pour la profession. Bien qu’ils bénéficient de l’année blanche propre aux intermittents du spectacle, les comédiens tentent de diversifier leurs activités pour vivre. Face à la situation, le clown Pixel ironise en attendant des jours meilleurs: “Attention, nous les artistes, on est très contagieux ! Et en plus, on est à risque ! Il faut nous isoler !

Crédit photo : Xavier Huneau.

Emma Rodot et Floriane Padoan

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