«Les détenus ne savent plus ce qu’il faut croire »

Pour lutter contre la propagation du covid-19, les prisons ont également mis en place des mesures strictes : suspension des parloirs, réduction des promenades, suppression des activités…  Sylvie Roudaut est psychologue dans le service médical de la Maison d’arrêt des Hauts-de-Seine depuis 29 ans. Elle explique pour Imprimatur les répercussions que peut avoir le confinement sur les détenus.

A la Maison d’arrêt de Nanterre, cinq cas de coronavirus ont été détectés parmi les détenus à la date du 25 mars 2020. ©Flickr

La décision de suspendre les parloirs a provoqué des soulèvements dans de nombreux centres pénitentiaires. Pourquoi ?

Cette décision est lourde de sens et mécontente les détenus. Les parloirs sont des lieux de rencontres et de transit de choses plus ou moins licites. Cette interdiction s’inscrit dans un changement global du quotidien des détenus.

Les activités comme le travail et l’enseignement ont également été suspendues. Confinement oblige, le temps de promenade a été réduit de 2 h à 1 h par jour et par groupe de 10 et non plus par aile de bâtiment. L’état d’urgence sanitaire modifie les contacts avec les autres codétenus. Le changement des habitudes et le manque d’approvisionnement en diverses substances est une des causes du mécontentement.

Le journaliste Antton Rouget a qualifié les détenus de « confinés parmi les confinés ». Etes-vous d’accord avec cette expression ?

Oui, il faut savoir que, dans les premiers trois à six mois en détention, les arrivants sont confinés 22 h sur 24. A Nanterre, les détenus vivent souvent à deux ou trois dans une cellule de neuf mètres carrés. Ce confinement est encore plus lourd à supporter aujourd’hui. En temps normal, chaque détenu a des activités différentes dans la journée : enseignements, sports, parloir, formations … Pendant le confinement, ils n’y ont plus accès.

« Les informations et les fake news créent un climat anxiogène
qui favorise la panique.

Le confinement créé de l’inquiétude pour les détenus et pour leur famille. L’épidémie constitue un évènement traumatogène. En prison, la télévision tourne en continu. Les informations et les fake news créent un climat anxiogène qui favorise la panique. Les informations ne sont pas confrontées aux autres avis. Les détenus ne savent plus ce qu’il faut croire ou ne pas croire.

Le fait d’être confiné dans un espace de privation de liberté exacerbe-t-il la peur de l’épidémie ?

Bien sûr, ces directives, données par la direction pénitentiaire, confrontent les détenus à la mort ou à une menace de mort. Ce genre d’évènement génère une forte charge émotionnelle difficile à contrôler lorsqu’on est enfermé en cellule.

Le confinement a des répercussions psychologiques, cela peut entraîner des troubles du sommeil, une fatigue émotionnelle, une altération du jugement… La tendance à l’hypocondrie est également exacerbée.

Le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature (SM) ou l’Observatoire international des prisons (OIP) ont demandé une diminution des incarcérations en détention provisoire ou pour des courtes peines. Est-ce une bonne chose, selon vous ?

Oui, c’est une bonne chose. Cela permet de lutter contre la surpopulation carcérale et donc de limiter la propagation du virus.

Ces directives mettent en valeur des problèmes structurels aux prisons, pourraient-elles servir au-delà de la période de confinement ?

Cela pourrait être un repère pour voir si en incarcérant moins, les chiffres de la délinquance diminuent.

Avec la grève des gardiens, les mouvements et activités dans l’enceinte de la Maison d’arrêt avaient également été réduits. Cependant, c’est la première fois que la situation porte sur un si long terme.

Qu’est-ce que le confinement change pour votre travail ?

Le confinement accentue certaines de nos missions. Nous œuvrons notamment à la prévention du suicide. Nous redoublons alors d’attention pour les détenus les plus fragiles. De plus, la prison assure au mieux la continuité  des procédures judiciaires. Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ont mis en place un service minimum pour aider notamment les détenus à déposer une demande d’aménagement de peines. Il ne faut pas que les détenus pensent que le navire est déserté.

© Thérèse Thibon

Propos recueillis par Thérèse Thibon

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