Cheminots : une grève qui se paie

La grève des cheminots de la SNCF se poursuit partout en France. A Bordeaux, Stéphane* a décidé de sacrifier une partie de ses revenus pour manifester son mécontentement contre la  future réforme de l’entreprise ferroviaire.

Crédit photo : Théotime Roux

Stéphane* a 39 ans. Il n’a connu qu’une seule entreprise, la SNCF, où il travaille depuis 2000. Agent de maintenance à Bordeaux, il encadre les entreprises privées au niveau de la sécurité. Mais pas en ce moment. Il est en grève. Il ne s’est pas rendu au travail cette semaine. Aux deux jours de grève s’ajoutent trois jours de « vacances ». Des vacances contraintes, les chantiers étant suspendus jusqu’à nouvel ordre.

Deux jours sur cinq

Stéphane n’est pas syndiqué. Mais il suit tout de même le calendrier intermittent de la CGT, deux jours de grève sur cinq. Il en est à son huitième jour de grève. Ce n’est pourtant pas un gréviste dans l’âme. Il ne s’était pas mobilisé depuis dix ans. Mais là, c’en est trop : « Je fais grève par solidarité. Ce que dit le gouvernement ne me plait pas. Avant, ce n’était pas concret. Ça ne touchait pas à l’intégrité de l’entreprise. Là, c’est le cas et ça me touche. Certains se sont battus pour ces acquis. Là, ça devient critique. »

Enfant, Stéphane aime jouer au petit train. Il rêve de travailler à la SNCF comme conducteur. En 1998, il entame une formation de deux ans en apprentissage dans la compagnie ferroviaire. Une première expérience cruciale : il ne quittera plus la maison . Inapte à être conducteur, il se spécialise dans les caténaires. « J’ai rapidement eu envie de rentrer à la SNCF. Ce n’est qu’après que j’ai su quels avantages j’avais. » Perpignan, Toulouse, Paris, Bordeaux… Il s’attache progressivement à son nouvel univers professionnel. « La SNCF a un passé, une histoire. Préserver notre statut de cheminot est indispensable. »

Indispensable, comme sa présence sur les chantiers. Quand il n’est pas là, personne ne peut travailler. « Quand je fais grève, le chantier ne tourne pas. C’est pour ça que je ne peux pas me permettre de le faire n’importe quand. Il y a des entreprises qui travaillent pour nous. Elles y perdent beaucoup elles aussi. Le chantier est arrêté, comme c’est le cas en ce moment. Et les ouvriers ne travaillent pas. »

Primes de nuit et de précarité

Stéphane travaille habituellement du lundi soir au samedi matin de 21h à 6h du matin, cinq nuits par semaine. Un rythme atypique qui l’oblige à organiser ses journées autrement. Des primes en découlent : la prime de nuit et la prime de précarité compte tenu de la manipulation de matériel en tension (fils, caténaires…).

Travailler à la SNCF, oui, mais pour encore combien d’années ? Sa situation professionnelle pourrait empirer si la réforme aboutissait. « On ne fait déjà plus le vrai travail (régénération de voies, maintenance, caténaires, NDLR). Ce sont des entreprises privées comme Vinci qui s’en chargent pour des questions de coût pour la SNCF. Je fais plus un travail d’encadrement. En cas d’ouverture à la concurrence, le travail d’encadrement pourrait passer dans le privé. Je me sens menacé. » Il pourrait ne pas finir sa carrière à la SNCF. C’est pourtant son objectif.

Stéphane « n’est pas un smicard, [il] gagne bien sa vie. » Tout en étant en-dessous du salaire moyen d’un cheminot – 3090 € bruts – malgré les primes. S’il vit confortablement, il réfléchit à deux fois avant de faire grève. « Mon salaire fonctionne avec des primes. Quand je fais grève, je perds ma journée de travail et les primes qui vont avec. Il est de toute façon impossible de faire grève tous les jours. » Il pourrait perdre environ 80 euros par jour, primes comprises, sur sa fiche de paie du mois d’avril.

« On n’a pas le choix »

Des sacrifices, Stéphane devra en faire si la mobilisation des cheminots dure – ce devrait être le cas jusqu’au 28 juin. Il a l’habitude de voyager à l’étranger un mois l’été. « Je n’ai pas encore prévu de vacances. Mais il va falloir que je m’adapte. J’ai un crédit immobilier à rembourser, des impôts à payer… Ça diminue vite. Je n’ai pas envie d’être à découvert. »

Tout n’est pas noir pour autant. Stéphane a touché le mois dernier une prime d’intéressement – un complément de salaire attribué aux employés selon les résultats réalisés par l’entreprise – de plus de 300 euros. Un matelas confortable en vue du mois d’avril compliqué qu’il vit au niveau financier. D’ici là, Stéphane compte bien regarder sa fiche de paie avec beaucoup d’attention : « Le salaire va conditionner le reste. » Il a conscience de gêner les usagers. « Certains employés bloquent des autoroutes ou des péages pour faire grève. Notre seul moyen est de ne pas faire rouler les trains. Mais il y a quand même un service minimum… » Il n’arrêtera donc pas de faire grève, pour l’instant. « On ne fait pas ça par plaisir. On n’a pas le choix. »

 

Victor LENGRONNE

 

* Le prénom a été modifié.

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