Disquaire Day : péril sur le vinyle ?

Le 21 avril se tenait la 8ème édition de la version française du Record Store Day. L’opération, née outre-Atlantique en 2008, offre chaque année aux disquaires indépendants un catalogue exclusif de disques introuvables chez les grandes enseignes. Une fête alternative de la musique aujourd’hui en proie aux appétits de ceux qui ont flairé le bon filon.

© Jérémy Pellet
© Jérémy Pellet

 

Le grand retour du vinyle – ce marronnier des JT depuis cinq ans – lui doit beaucoup. Le Record Store Day et sa variante française, le Disquaire Day, ont été les grands sauveurs du microsillon. Et de ceux qui lui sont toujours restés fidèles : les disquaires indépendants. Ces commerces de proximité d’un autre genre étaient pourtant en perdition il y a encore quelques années. « Le Disquaire Day nous a tiré d’une sale situation. Sans lui, on serait morts. », explique Martial, co-gérant de la boutique Total Heaven à Bordeaux.

Rééditions de disques promos, pressages numérotés, albums d’inédits, nouveautés en avant-première : le Disquaire Day permet aux commerces participants d’aligner dans leurs bacs de nombreux objets prisés des mélomanes. Année après année, le succès de l’opération ne se dément pas. Mais l’évolution de l’offre et des pratiques ne fait pas l’unanimité. Chez les professionnels comme chez les clients, certaines tendances observées viennent un peu gâcher la fête.

Un catalogue phagocyté par les majors ?

Au rang des cailloux dans la chaussure : l’ombre grandissante des poids lourds de l’industrie du disque. Elles n’ont pas été les premières à miser sur le revival du vinyle, mais n’ont eu aucun mal à prendre le train en marche. Universal ou encore Sony, sentant le vent tourner, se sont mis à rééditer à l’envi leurs fonds de catalogue au format vinyle. Résultat : l’offre proposée par le Calif (Club action des labels indépendants français), qui organise le Disquaire Day en France, fait désormais la part belle aux galettes des grosses maisons de disques. Un constat qui travestit légèrement l’esprit originel de l’événement, censé promouvoir les petits labels. Mais y a-t-il vraiment danger ? «Contrairement à ce qu’on peut entendre, il suffit de faire un petit tour des bacs pour voir qu’il y a toujours plus d’indé que de majors dans la totalité de l’offre, tempère Martial. Mais la part des majors est beaucoup plus importante qu’au début, c’est sûr.  »

Plus rare, plus cher, plus saugrenu

Une posture commerciale n’est pas forcément un gros mot lorsqu’on parle musique – Total Heaven n’a pas hésité, cette année, à rentrer en magasin du Madonna, du Abba ou encore du Taylor Swift – mais ce sont plutôt les méthodes de ces grosses maisons de disques qui interrogent. « Les majors font leur taf. Après, moi je trouve qu’elles le font mal parce que la plupart des gens qui y travaillent ne s’intéressent pas à la musique et sortent d’écoles de commerce, sourit Martial. Elles ne pensent qu’à faire du blé, et on ne peut pas éviter qu’elles travaillent avec La Fnac sur des opérations où leurs disques non écoulés sont bradés à 10 euros.  » Des tarifs forcément impossibles à tenir chez les indépendants.

La cible de prédilection des majors lors du Disquaire Day ? Les collectionneurs. Et tous les prétextes sont bons pour les faire passer à la caisse, histoire de s’offrir une énième copie d’un album qu’ils connaissent depuis leurs 16 ans. Rééditions en picture disc (pochette imprimée à même le vinyle), disques couleur ou transparents viennent ainsi s’ajouter à la longue liste de pressages ultra limités de 45 tours aux prix prohibitifs et à l’intérêt musical limité. Des disques tirés à 800 exemplaires dans le monde qui finiront sans doute par prendre la poussière sur les étagères d’acheteurs « qu’on ne voit qu’une fois dans l’année ».

Des produits de luxe

Cette course au « collector artificiel » a d’ailleurs fini par fâcher certains disquaires et acheteurs avec l’événement. Parmi eux, Nicolas, 43 ans, passionné de musique. Il regrette une certaine gestion de la pénurie qui participe à l’escalade des prix : « Si c’est la fête, donnez aux gens ce qu’ils veulent, ne les faites pas se bousculer pour quelques galettes en couleurs ! Et puis voir les disques les plus rares aussitôt disponibles au triple du prix sur ebay, comment dire… »

Car les pièces les plus convoitées ne restent jamais très longtemps en magasin. Elles ont même la curieuse habitude d’atterrir très vite sur internet où les prix affichés les cofonderaient presque avec des produits de luxe. « Le gros malaise c’est que ce sont souvent des disquaires d’occasion, qui ont fait le Disquaire Day mais sans avoir l’habitude de  travailler du neuf, qui revendent ces disques sur le net, explique Martial.  S’ils se font choper, ils sont rayés de l’opération. C’est déjà arrivé à Bordeaux. »

Avec un chiffre d’affaires multiplié par six le jour de l’événement, Total Heaven sait ce que l’engouement pour le vinyle doit au Disquaire Day. L’opération a permis de remettre en lumière un métier et un format en voie de disparition, et des milliers de clients y trouvent chaque année la perle rare dans un esprit qui, en revanche, n’est peut-être plus tout à fait le même.

Jérémy Pellet

Petite sélection subjective de sept pépites sorties à l’occasion de cette 8ème édition du Disquaire Day :

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