Le super fiasco de Superphénix

Fierté de l’industrie nucléaire française à la fin des années 1970, le projet Superphénix de Creys-Malville dans l’Isère aura marqué les esprits.  De par la répression implacable de ses opposants d’abord, ensuite par sa rocambolesque attaque au lance-roquettes par un ex-député suisse. Et enfin parce que ce fut un bide monumental, la faute aux défaillances techniques.

« S’il le faut, je ferai ouvrir le feu sur les contestataires. » On est le 28 juillet 1977 et René Jannin, préfet de l’Isère, annonce la couleur. À l’époque on ne rigole pas avec le nucléaire. De Gaulle, Pompidou, puis Giscard en ont fait l’enfant sacré de l’industrie française de pointe. De nouveaux joujous font leur apparition : les surgénérateurs. Ces super réacteurs sont censés produire de l’énergie à partir de combustibles déjà utilisés par d’autres centrales. Et ce n’est pas tout ! Ils sont aussi aptes à produire du plutonium fissile, utilisé pour la fabrication des bombes atomiques. Banco pour l’industrie nucléaire. En mars 1974, le premier ministre Pierre Messmer annonce le lancement du projet Superphénix à Creys-Mépieu dans l’Isère, au lieu-dit Malville.

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Le site du projet Superphénix se situe au bord du Rhône, aux confins des départements de l’Isère et de l’Ain.

Dès les premiers travaux en 1976, nombreux sont ceux qui s’élèvent contre ce projet. Citoyens, scientifiques et militants se regroupent au sein des « comités Malville » pour s’y opposer. Après une première occupation du site au mois de juillet , réprimée sans états d’âme par les forces de l’ordre, s’organise pour le 31 juillet de l’année suivante une grande mobilisation, censée acter la naissance d’un mouvement antinucléaire structuré dans l’Hexagone. Soixante mille personnes y participent. Une super mobilisation contre Superphénix. Et une super répression. Deux semaines avant la manifestation, des militaires sont dépêchés dans la zone. Bientôt rejoints par 5000 CRS, des parachutistes, des brigades anti-émeutes et des hélicoptères.

Une grenade, un mort, un non-lieu.

Divisée en trois cortèges, la manifestation converge vers la colline dite du Devin, sur la commune de Faverges. Des heurts éclatent avec les forces de l’ordre, qui tirent rapidement des grenades offensives sur les manifestants. Une centaine au total sont blessés, dont deux gravement mutilés. Et un meurt, emporté par le souffle d’une de ces engins explosifs. Il s’appelle Vital Michalon, il a 31 ans et enseigne la physique. Il est venu avec quelques amis et son frère, Paul. Quarante ans après le drame, dans un article publié sur Reporterre, ce dernier confie que Vital « n’était pas du tout un anarchiste enragé comme on a pu le dire ensuite ».

Le préfet Jannin préfère parler d’une crise cardiaque, conclusion réfutée plus tard par l’autopsie. Deux ans plus tard, un rapport privilégie la thèse de la bombe artisanale lancée par un manifestant. Une hypothèse qui ne convainc pas  la famille Michalon. Elle lance une plainte contre X qui débouche en novembre 1980 sur un non-lieu. Un décès qui n’est pas sans rappeler celui de Rémi Fraisse, jeune militant tué à Sivens en 2014. Une grenade, un mort, un non-lieu.

Aussi contestée soit la répression étatique orchestrée ce jour-là, elle est diablement efficace. Choqué, sonné, le mouvement antinucléaire est très amoindri après ce 31 juillet 1977. Il faudra attendre le désastre de Tchernobyl en 1986 pour qu’il reprenne des forces.

http://fresques.ina.fr/rhone-alpes/fiche-media/Rhonal00258/les-manifestations-de-creys-malville.html
Reportage de France 3 Rhône-Alpes au lendemain de la manifestation du 31 juillet 1977.

Attention aux roquettes !

Le 18 janvier 1982, Superphénix subit pourtant une attaque des plus spectaculaire.  Des roquettes sont tirées sur le chantier de Creys-Malville. Pas de blessés, mais quelques dégâts matériels. Pendant plus de vingt ans, l’enquête patauge et l’auteur des faits reste inconnu.

En 1994, dans les archives des services secrets hongrois, on découvre que le commanditaire de l’attentat serait le célèbre Illitch Ramirez Sanchez a.k.a Carlos, fine fleur du terrorisme international . Trois autres personnes sont arrêtées en Suisse dans la foulée, mais l’enquête est classée cinq ans plus tard. Jusqu’au coup de théâtre du 8 mai 2003. Ce jour-là, Chaïm Nissim, ex-député écologiste suisse, publie L’amour et le monstre : roquettes contre Creys-Malville. Il affirme que c’est lui qui a attaqué le chantier. Alors membre d’un petit groupe d’activistes responsables d’autres actions dans la région – destructions de pylônes et de machines de chantier, incendies de bureaux – il s’est fourni le lance-roquettes auprès des Cellules Communistes Combattantes (CCC) belges, par le biais d’un lieutenant de Carlos. Son ouvrage, il le publie pour « ne plus avoir cette double vie un peu brisée, une vie de militant qui commet des attentats la nuit, qui manifeste le jour et qui va au Parlement le soir ». Il y raconte en détail la soirée du 18 janvier 1982. Le sentiment de honte qui l’envahit quand ses deux premières tentatives de tirs échouent à cause de l’humidité. Puis son immense soulagement lorsque la troisième fait mouche. Dans ce livre, on trouve les conclusions de ses années de lutte, dans l’activisme et la politique, pesant le pour et le contre des modes d’actions radicaux ou plus réformistes. Et au sujet du chantier de Creys-Malville, il fait remarquer que « ce sont les pannes, les coûts, et les recours qui eurent pour finir raison du monstre ».

https://www.rts.ch/play/tv/mise-au-point/video/rsvp-cham-nissim-auteur-de-lattentat-contre-creys-malville-en-1982?id=401343&station=a9e7621504c6959e35c3ecbe7f6bed0446cdf8da
Interview de Chaïm Nissim à la télévision suisse RTS après la publication de son livre.

Tout ça pour ça !

Malgré la répression des opposants au projet, Superphénix n’aura fonctionné que 174 jours. Le surgénérateur est mis en service en 1984. Première fuite de sodium – utilisé pour refroidir le coeur du réacteur –  en 1987, le réacteur est arrêté pendant deux ans. Nouvelle mise en service en janvier 1989. Puis un nouvel arrêt en septembre, avant une nouvelle fuite de sodium en avril 1990. Et on n’a encore rien vu ! Au mois de décembre, un bout du toit de la salle des turbines s’effondre sous la neige. Nouveau redémarrage en janvier 1994, puis une autre fuite, d’argon cette fois-ci, à la fin de l’année !  Ultime mise en service en septembre 1995, après une prise de bec entre la ministre de l’écologie Corinne Lepage, opposée au projet et son confrère de l’industrie Franck Borotra. Le premier ministre Jospin décide finalement d’arrêter les frais le 19 juin 1997 en annonçant son abandon. Curieuse ironie du sort au regard des moyens employés pour le réaliser coûte que coûte !

Pierre Billaud

 

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