« Le FN, c’est une marque »

Au congrès de Lille du 10 et 11 mars derniers, Marine Le Pen a proposé de changer le nom du parti Front National en Rassemblement National. Pour Lorrain de St Affrique, proche de Jean-Marie Le Pen, ce congrès révèle une véritable cassure idéologique. Il envisage déjà pour le parti, le coup d’après. Interview.

Marine Le Pen au Parlement européen. (Crédit : Wikipédia Commons)

Quel est votre réaction au changement de nom du parti ?

Lorrain de Saint Affrique : Bonjour l’originalité. Le Rassemblement national a été utilisé par Jean-Marie Le Pen lors des élections législatives de 1986. Tout ça pour ça. Cela s’inscrit dans la volonté de Marine Le Pen d’écarter les polémiques liées au passé de Jean-Marie Le Pen, elle appelle cela « la dédiabolisation ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela ne fonctionne pas très bien. Dans une période où le Front National est notoirement en difficulté, elle prend le risque de brouiller l’image de la formation politique. Cela ne changera rien pour l’opinion. Pourquoi ? Parce que la dédiabolisation vient des adversaires. C’est profondément démobilisateur car un parti politique c’est avant tout une histoire. Le FN, c’est une marque. Il faut 20 à 30 ans pour l’installer.

Ensuite, il y a tout de même de gros doutes sur la légalité de ce questionnaire adressé aux adhérents. Qui a dépouillé ça ? Combien de questionnaires ont été proposés et dans quelles conditions ? Il n’y a pas eu d’huissiers, ce travail a été confié à des bénévoles du Front. On ne fait ça nulle part ailleurs ! Et il y avait beaucoup de contradictions dans les chiffres annoncés. Sur les sujets qui ont été mis en avant, avec des projections, cela correspond à la ligne politique de Marine Le Pen. Il y a un chiffre qui circule sur l’élection du comité central (devenu conseil national), il y aurait eu 13 000 votants. Si c’est 13 000, c’est absolument effrayant.

Estimez-vous que Marine Le Pen est définitivement décrédibilisée après son débat raté de l’entre-deux-tours ?

L.S.A : Il est évident que le débat a laissé des traces très profondes. Les extraits les plus significatifs du débat repassent en boucle sur les réseaux. A cet égard, je crois que Marine Le Pen a une façon de rire assez artificielle. Et lorsqu’elle fait cela aujourd’hui, cela rappelle inévitablement le débat. Elle devrait faire attention. C’est allé beaucoup plus loin. Il y a des épisodes de gestuelles complètement erratiques qui ont marqué les gens. Ce n’est pas seulement un débat raté, c’est un comportement incompatible avec des fonctions très élevées dans un État. La politique ne s’arrête pas à un accident de parcours, bien sûr, mais l’on a l’impression qu’il n y pas que cela. Il y a une cassure idéologique depuis les départs de Marion-Maréchal Le Pen et de Florian Philippot.

Ces départs représentent-ils un danger immédiat pour elle ?

L.S.A : Ce qui est dangereux, c’est la quantité des listes qui vont être eurosceptiques aux prochaines élections européennes, à gauche comme à droite. L’intérêt d’un Dupont Aignan, par exemple, est certainement de conduire sa propre liste et de refaire une opération un petit peu à la Philippe De Villiers en 1994 et en 1999 où il a dépassé les 10% à chaque fois . Si le Front National est à la baisse, cela veut dire qu’il y aura beaucoup plus de déchus que d’entrants la prochaine fois. Certains peuvent être tentés d’aller se faire élire ailleurs. Et Dupont Aignan est une solution. Cela fait un petit peu office de canot de sauvetage le plus proche.

Pour Florian Philippot, sa ligne politique est extrêmement claire. Lui au moins, on sait ce qu’il veut. Le Frexit. Il est le seul à aller aussi loin. Après, il part de pas grand-chose. ll n’a qu’une poignée d’élus avec lui. Aux dernières élections, il a fait 2 %. Tous ces gens, vont incarner des positions réservées sur l’Europe de façon très diverses. Et il y a Mélenchon de l’autre côté. Il y aura une forte dispersion des voix, c’est certain. Pour le FN, le danger numéro 1 avant Philippot et Dupont Aignan, c’est Laurent Wauquiez.

Certains prêtent tout de même déjà de hautes responsabilités à Marion Maréchal-Le Pen…

L.S.A : « Elle est assez mystérieuse et très indépendante. Elle a un projet, développé aux Etats-Unis. Sa personnalité a beaucoup marqué l’opinion, sans doute parce qu’elle correspond mieux à l’air du temps. Regardez l’âge du président de la République et le renouvellement de l’Assemblée Nationale, bon… Il est possible que Marine Le Pen ne soit pas du bon côté de la ligne. Elle appartient au passé. Le dégagisme va jusqu’à Marine Le Pen. Marion donne le sentiment d’être le coup d’après-demain là où Marine Le Pen appartient au coup d’avant. Son départ a douché les espoirs de beaucoup de gens, qui espéraient et espèrent toujours que c’est un retrait provisoire et qu’elle reviendra.

Pourtant, il n y a pas de raisons de mettre en doute sa parole aujourd’hui. Elle expose un projet professionnel et cherche des appuis à l’étranger et en France. On peut aussi la croire. L’arrière-pensée politique n’est pas ce qui l’obsède le plus, même si c’est ressenti comme tel. Elle a été très remarquée par l’opinion dans sa mandature précédente, et elle a fait un parcours sans faute comme députée, en tout cas vis-à-vis de l’opinion et de la base du FN. On la place en meilleure position que Marine Le Pen dans un récent sondage. Mais quelques fois, on a des scores plus élevées lorsque l’on est en retrait de la vie politique. Marion Maréchal-Le Pen, comme Simone Veil ou Bernard Kouchner, fait peut être partie de ceux là.

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a de la place pour un leader à droite. Mais il n’est pas encore identifié. Pour l’instant, on peut dire que personne ne sait que Napoléon se cache sous Bonaparte.

Théophile Larcher

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