« Moscou est aujourd’hui la Mecque des partis d’extrême-droite »

« Une Europe divisée implique que Poutine est le chef », signalait devant une commission du Parlement espagnol le 31 mars, le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans. Vladimir Poutine est régulièrement accusé de manipuler les partis d’extrême-droite du vieux continent pour se poser en leader et ainsi disloquer l’Union européenne. Mais quelle est la stratégie du président russe ? Décryptage avec Bernard Guetta, chroniqueur géopolitique à France Inter.

« L’ennemi de mon ennemi est mon ami », Bernard Guetta, à propos des liens entre l’Union européenne et la Russie.

Faut-il craindre la Russie de Vladimir Poutine ? Ou au contraire doit-on aller vers elle, compte tenu du poids croissant de sa diplomatie et de la présidence Trump qui affaiblit les relations americano-européennes ?

C’est un faux débat qui est posé là par beaucoup d’hommes politiques européens. Il faut évidemment, et c’est d’ailleurs le cas, être en dialogue permanent avec la Russie qui est, avec l’Union européenne, l’autre pilier du continent. D’autant plus que les pays de l’Union ont beaucoup de problèmes à régler vis à vis de la Russie, avec qui il faudrait un jour coopérer. Mais cela ne signifie aucunement que l’on doit approuver l’action internationale et la politique intérieure de Moscou. Il ne faut pas être entre rupture et alliance, mais conserver un dialogue constant, forcément conflictuel puisqu’il implique l’ignorance délibérée et coupable des actions déstabilisatrices et anti-démocratiques du président russe.

Quelles actions ?

Par exemple ce qui s’est passé en Géorgie en 2008 ou ce qu’il se passe aujourd’hui en Ukraine avec l’annexion de la Crimée, la première sur le territoire européen depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Mais aussi la répression constante à l’intérieur et à l’extérieur des frontières russes de toute forme d’opposition.

Que cherche Vladimir Poutine en Europe ? Simplement un soutien idéologique et diplomatique, ou aussi militaire ? Comme par exemple détruire l’OTAN ?

Il considère que la Russie a des droits historiques sur les nations qui avaient été englobées par les tsars dans l’empire russe et maintenus dans l’URSS par le pouvoir communiste. Il considère que l’indépendance de ces nations, aujourd’hui Etats membres de l’ONU, ne peut pas être effacée, mais qu’il peut en revanche restaurer un protectorat économique et politique sur ces pays. Ce à quoi il s’emploie. Ce revanchisme de M.Poutine crée des tensions très graves dans les pays proches de la Russie. C’est un facteur de déstabilisation continentale qui pourrait un jour entraîner une dynamique de conflit militaire. Ce revanchisme doit être combattu politiquement et diplomatiquement. Son second objectif est d’affaiblir et de briser l’Union européennes et l’OTAN pour être plus fort face à des européens désunis.

Depuis combien de temps cette stratégie dure-t-elle ?

Il n’y a pas de date précise, cela a été une convergence assez naturelle et qui s’est accélérée depuis environ à une douzaine d’années.

A plusieurs reprises, lors de déclarations officielles, Vladimir Poutine a dénoncé le populisme qui règne en Europe*. Pourtant ce sont les partis dits « populistes » qu’il tente de rallier à sa cause. N’est-ce pas contradictoire ?

Il est très cohérent dans ses ambitions et la politique qu’il mène pour les réaliser. Il y a entre les nouvelles extrêmes droites européennes et Poutine une ambition commune : la désunion de l’Union. L’ennemi de mon ennemi est mon ami. Ce sont deux forces qui se rejoignent profondément et spontanément car il y a une communauté idéologique. Tous sont nationalistes et rêvent de revenir à l’Europe continentale d’avant le chute du mur de Berlin. Tous se réclament d’une même identité chrétienne de l’Europe. Tous partagent les mêmes craintes et phobies des mondes musulmans.

Crée-t-il des cellules russes au sein des partis d’extrême-droite européens, comme le faisait les Russes aux Etats-Unis au temps de la Guerre froide ?

Moscou aura été pendant soixante-dix ans la Mecque des partis communistes occidentaux. Elle est aujourd’hui la Mecque des partis d’extrême-droite. Il utilise ces partis pour des ambitions nationales.

Pensez-vous qu’il puisse peser sur l’élection présidentielle en France ? Peut-être est-ce déjà le cas ?

Les services de renseignement occidentaux ont mis en garde contre la tentation qui pourrait habiter M Poutine de réitérer ce que les services russes ont fait aux Etats-Unis lors de la présidentielle. Le risque existe, va-t-il s’avérer ? Je ne suis pas Madame Soleil.

L’Europe serait-elle à la merci de la Russie ?

La Russie est une puissance militaire et nucléaire, cela étant dit l’économie russe pèse peu, ses infrastructures sont en piteux état. Mais l’Union européenne n’a pas de défense.

Faut-il aller vers une Communauté Européenne de Défense comme en 1954 ?

Oui. Et c’est ce que disent beaucoup de chefs d’Etats européens : aller en quatrième vitesse vers cette Communauté. C’est ce par quoi nous aurions du commencer au début des années 50 pour construire l’Europe.

L’Europe est-elle devenue comme l’était le « Tiers Monde » lors de la Guerre froide, l’enjeu majeur d’une nouvelle Guerre froide qui s’amorce ?

L’Europe a été l’enjeu de la Guerre froide jusqu’à sa fin. Mais aujourd’hui, la situation est différente car M.Trump se désintéresse grandement des pays européens. On pourrait plutôt dire que l’Union est dans le viseur de la Russie, alors même que sa défense est remise en question.

Ulysse Cailloux

 

*Le 24 mai 2014 à St Pétersbourg lors de la Rencontre avec les directions des agences de presse mondiales il déclarait : « Cela fait des années que j’ai dit à mes amis en Europe que si vous continuez ainsi, sans prendre en compte l’humeur de la population dans votre propre pays, alors le nationalisme montera inexorablement. Et cela se passe ainsi ».

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