Et si… Donald Trump était destitué ?


10 mars 2019 – Au pied de la Trump Tower, des milliers de manifestants sont encore une fois réunis. Comme un soir de nouvel an, les bouchons de champagne explosent et la mousse arrose la foule. « J’attendais ça depuis le premier jour ! », s’exclame un jeune Afro-Américain. 

Donald Trump à Washington D.C. en 2011. © Gage Skidmore

Pas le temps de passer par les loges. Elle jette son sac au pied de la caméra et court, malgré ses talons, vers le plateau. Kate Bolduan, 35 ans, est la présentatrice politique star de CNN. Elle présente depuis trois ans State of America, une émission qui a été originellement créée pour suivre l’élection présidentielle de 2016 et qui traite désormais de l’actualité politique américaine. Le panneau on air s’allume. « Breaking news ! That’s it, Trump is impeached. »

En bas de l’écran, le bandeau qui défile reprend directement l’information : le vote vient d’avoir lieu, Donald J. Trump est destitué. Son mandat a duré deux ans au lieu de quatre, du 20 janvier 2017 au 10 mars 2019, et son successeur est Mike Pence comme le prévoit la loi. Sur Twitter, les hashtags #HastalavistaTrump et #Youhityourbrickwall décollent en flèche. Pour comprendre ce qu’il vient de se passer, un flashback s’impose.

Une procédure longue
Devant le Capitole, les journalistes du monde entier sont en duplex les uns à côté des autres. Dans ce brouhaha polyglotte, on distingue tout de même le reporter de FoxNews répéter inlassablement « disastrous » et « big mistake ». Mais ce qui arrive aujourd’hui n’est pas une surprise, car le vote était prévu. Destituer le Président des États-Unis, ou n’importe quel haut fonctionnaire, cela ne se fait pas en un jour.
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Aujourd’hui 10 mars 2019, c’est à la fois le dénouement et le début d’un tsunami politique, d’une crise constitutionnelle et d’un événement international. L’impeachment, comme le dispose l’article II de la Constitution des États-Unis, est le résultat du pouvoir législatif, et non du pouvoir judiciaire. Les deux chefs d’accusation qui ont été retenus contre Donald Trump sont la trahison, du fait de ses contacts avec la Russie, et les conflits d’intérêts entre sa fonction de chef d’État et son entreprise, la Trump Organization. Selon l’emoluments clause, le Président n’a pas le droit de recevoir des revenus de la part de gouvernements étrangers.

De plus, depuis début 2017, il était reproché à Donald J. Trump d’avoir confié la gérance de son entreprise à son fils aîné et à son frère. Traditionnellement, les affaires du Président font l’objet d’un blind trust, c’est-à-dire qu’un fonds gère ses affaires sans qu’il ait le droit d’intervenir dans le processus de décisions.

Un consensus en deux étapes
L’impeachment a commencé en décembre dernier. La mise en accusation est votée à la majorité simple à la Chambre des représentants. Pourtant, les démocrates, opposants de Trump, ne sont pas majoritaires à la Chambre des représentants. Aux dernières midterm elections, le 6 novembre 2018, ils ont gagné 18 sièges par rapport à 2016, soit 212 sièges, contre 223 pour le parti républicain. Mais quelques républicains se sont ralliés à eux et ont voté en faveur de la procédure. Sans cet apport de voix, elle aurait été rejetée.

La deuxième étape a été l’ouverture du procès devant le Sénat. Quand ce sont des juges fédéraux mis en cause, le procès est présidé par le vice-président. Mais s’agissant du Président des États-Unis, son bras droit n’est pas habilité. Le procès était donc présidé par John G. Roberts Jr., président de la Cour suprême. Aujourd’hui, la culpabilité de Donald Trump a été prononcée. Pour cela, il fallait le vote des deux tiers des sénateurs. Un tiers des cent sièges du Sénat a été renouvelé pendant les midterm elections, mais les démocrates étaient encore légèrement minoritaires. Le même processus de ralliement a permis d’obtenir la majorité.

En réaction à ce consensus entre les deux blocs, le sénateur Bernie Sanders a tweeté : « Les États-Unis retrouvent aujourd’hui leur vraie grandeur. Bonne retraite @realDonaldTrump. En espérant que son temps libre ne le pousse pas à tweeter encore plus ». Outre-Atlantique, le Président de la République française, Nicolas Dupont-Aignan, s’est fendu d’une dernière pique : « La no-go zone qu’est notre pays salue ce verdict. C’est un soulagement pour ceux qui croient en la démocratie. »

Un Trump peut en cacher un autre
Donald Trump a désormais l’interdiction d’occuper tout poste officiel. Mais il est encore trop tôt pour savoir s’il sera poursuivi devant les tribunaux civils ordinaires, ou s’il aura le droit au pardon fédéral. Cela peut paraître étonnant que des républicains se désolidarisent ainsi de celui pour lequel ils ont voté pendant la primaire. Mais comme l’expliquait l’historien américain Allan Lichtman en 2016, Mike Pence est plus « lisse » et « contrôlable » que Donald Trump, et servirait donc mieux les intérêts des républicains. Les partisans du parti Démocrate, eux, fêtent en ce moment la nouvelle avec un peu d’amertume, car Mike Pence est plus conservateur que l’ex-Président sur certains points non-négligeables.

Première fois
À noter que l’impeachment de Donald Trump est le premier cas pour un président dans l’histoire des États-Unis. Andrew Johnson et Bill Clinton ont été acquittés par le Sénat, et Richard Nixon a démissionné de lui-même après le scandale du Watergate (1974). Suite à ce scandale, le parti républicain s’en était trouvé affaibli. Mais les démocrates n’avaient pas tellement eu de quoi fanfaronner, car deux ans plus tard, Jimmy Carter avait gagné de justesse l’élection présidentielle contre Gerald Ford, vice-président de Nixon, qui se représentait. Qu’en sera-t-il l’année prochaine, en 2020 ? Kate Bolduan est à l’antenne pour tenter d’y répondre.

Juliane Rolland

Merci à Nicolas Labarre, maître de conférences au département de Langue et civilisation de l’Université Bordeaux-Montaigne, pour son aide.

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