Manon Cormier, fragments de vie d’une résistante

Pour elle, le temps s’est figé en 1945, au retour des camps et au sortir de la guerre. Elle aura consacré sa vie à se battre pour ses droits de femme et à défendre les plus démunis, vêtue de sa robe d’avocate ou de ses habits de résistante. Le nom de la Bordelaise est fixée aux mémoires, mais ses souvenirs restent secrets…

C’est un symbole de Bordeaux. Manon Cormier est ce genre de femmes qui en a fait plus que ce qu’elle pouvait faire. Féministe reconnue, brillante avocate mais aussi résistante, son nom orne les bâtiments et les rues de la ville et de ses alentours, et est même inscrit au Panthéon.

Le 30 novembre 1914, c’est d’un pas décidé qu’elle entre à la faculté de Droit de Bordeaux. Après trois brillantes années d’études, elle devient stagiaire au Barreau de la ville, où elle fait ses premières armes en tant qu’avocate. Elle finit par faire même définitivement partie de la profession après avoir fait sa demande au bâtonnier le 20 juin 1921.

Manon Cormier fait ainsi partie du cercle très fermé des avocates françaises, mais cela ne lui suffit pas : elle devient la même année la première femme bordelaise à postuler pour une thèse, et la première à obtenir le statut de secrétaire à la Conférence du Stage, accessible par le biais d’un concours d’éloquence au sein du Barreau.

De ces victoires de femme, Manon Cormier fait la base de son combat pour le genre, et mène des actions au sein de différentes organisations féministes comme la LPDF, la Ligue pour le droit des femmes, et noue dès les années 1920 des liens forts avec Maria Vérone, une figure nationale du combat pour les droits des femmes.

Mais dans le reste de l’entre-deux-guerres, on ne sait pas grand chose de la vie de Manon Cormier, qui devient une sorte d’image fugitive, se volatilisant d’un combat à l’autre. En tant qu’avocate, elle défend surtout les opprimés, les plus démunies, ceux qui n’ont pas les moyens de se payer un défenseur. Un choix, mais aussi une contrainte, sans doute, due aux obstacles rencontrées par une femme pour s’imposer dans le paysage judiciaire.

Car en dépit de tous ses efforts, Manon Cormier n’a pas réussi à se faire reconnaître de son vivant. C’est finalement la Résistance qui l’a menée vers une certaine forme d’éternité. De ses actions pour le Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France, peu sont connues. En 1940, elle s’est pourtant déplacée à Paris pour prendre part aux combats, à la Résistance. Un épisode qui contribue à donner une nouvelle teneur héroïque à cette discrète Bordelaise.

C’est finalement son arrestation en 1943 suivie de sa déportation et de sa mort juste avant la fin de la Seconde Guerre Mondiale, qui la consacrent. En victime de la barbarie nazie, elle devient une icône de la Mémoire, et dès lors, son nom traverse les âges.

Tout sur sa fin

Vendredi 25 mai 1945. 18h. Ultime souffle de vie. Dernier moment d’un combat mené jusqu’à l’épuisement. Manon Cormier renonce à son existence, succombe à sa lutte la plus éreintante : celle de la survie dans les camps de concentration.

Un moment précis, capté par sa sœur dans l’imminence de la mort. Fatiguée, les cheveux blanchis par l’horreur de la tâche qui lui a été imposée, Manon Cormier essaie de réparer son corps sous le toit de l’hôpital Boucicaut, à Paris. À son chevet, sa sœur Juliette Dartigue-Peyrou prête une oreille forcément attentive à des paroles qui se font témoignage testamentaire.

Juliette prend note de ce conte funeste, qui prend place dans l’Allemagne d’avril 1944 et s’achève à Paris, en mai 1945. Plus d’une année de déportation, de destruction physique retranscrite par une femme qui voit sa petite sœur plonger dans l’inconnu.

L’historien Bernard Lachaise, auteur d’une biographie intitulée Manon Cormier, une Bordelaise en résistances (1896-1945), publiée en septembre 2016, s’est chargé de retracer le parcours militant de cette illustre femme de Bordeaux. Il a retrouvé cette retranscription, ce fragment de vie en fuite, qu’il a à son tour retranscrit dans ses lignes.

La vérité du personnage de Manon Cormier est ainsi rendue accessible dans cette courte et terrible période de son existence. En-dehors de cette ressource primordiale, tout ce qui fait les souvenirs de cette femme, son passé, ses actes, ne peut être connu qu’au travers de regards extérieurs : des traces infimes de correspondances, des archives photographiques maigres… De cette Manon Cormier, on ne sait finalement pas grand chose, si ce n’est qu’elle a marqué son temps.

Sacha Rosset

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