Le français en Haïti, une fenêtre sur le monde

A l’occasion de la semaine de la Francophonie, Imprimatur vous fait voyager sur les cinq continents, du lundi au vendredi, à la rencontre de nos voisins francophones. Au programme, reportages et découvertes de ces communautés qui font la richesse de notre langue. Pour cette dernière journée consacrée à la Francophonie, Imprimatur s’envole en Haïti, qui compte deux langues officielles : le français et le créole haïtien. 

Windy Benoît est la gérante du restaurant haïtien ‘Vin Wè‘, à deux pas de la place Gambetta à Bordeaux. Munie de son éternel tablier, accueille ses clients avec un franc sourire. Elle a été présidente de l’association haïtienne ‘Lakay’ à Bordeaux à plusieurs reprises. Après avoir animé une émission à radio campus pendant ses études dans les années 90, elle écrit aujourd’hui une chronique sur les femmes haïtiennes qui ont marqué l’Histoire du pays dans la revue ‘Haïti monde’.

Dès que l’on franchit la porte, une délicieuse odeur s’empare de nos narines. Des toiles haïtiennes illustrant des scènes quotidiennes du marché et des paysages montagneux sont affichées aux quatre murs. Des fruits locaux peints sur des planches de bois servent de dessous-table. Bananes pesées, pikliz ou encore du colombo sont au menu. Sur le verso de celui-ci on apprend d’ailleurs que Napoléon a perdu une défaite face aux Haïtiens lors de la bataille de Vertières en 1803. ‘Mes enfants qui ont grandi ici n’ont pas appris ça dans leurs livres d’histoire‘. Winddy, elle, a grandi à Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, jusqu’à ses 19 ans.

La vitrine de "Vin wè" invite au voyage. Crédit photo : Winddy Benoît
La vitrine de ‘Vin wè’ invite au voyage. Crédit photo : Winddy Benoît

Enfant, elle parlait français aussi bien à l’école que chez elle. ‘Quand j’étais petite, j’adorais le français. C’est une très belle langue‘, dit-elle de son sourire qui ne la quitte que très rarement. Après avoir été à l’école primaire et secondaire chez les sœurs Congréganistes, elle quitte sa terre natale en direction de Bordeaux. On est à la fin des années 80. ‘Au début c’était très dur, il n’y avait pas internet, j’étais vraiment coupée du monde. A la fac, mes amis étaient tous Européens, Français ou Africains. Je n’ai pas parlé créole pendant huit ans‘. Parmi ses frères et sœurs, c’est la seule à avoir choisi la France comme pays d’adoption. Eux ont préféré les Etats-Unis ou le Canada, où il y a une forte communauté haïtienne. ‘C’est sûrement dû à la proximité‘, commente-t-elle. La maîtresse des lieux au visage poupin s’empare à nouveau du créole quand sa mère vient lui rendre visite. ‘Je voulais tout le temps qu’elle me parle en créole, ça m’avait manqué‘, raconte-t-elle.

Parler français permet « d’avoir une ouverture sur le monde »

Sur les murs des toilettes sont inscrites plusieurs expressions haïtiennes traduites en français. ‘C’est important de transmettre ma culture à travers la nourriture mais aussi à travers le créole haïtien. J’aimerais que mon restaurant soit une sorte de vitrine‘, explique-t-elle. Mais si Winddy désire promouvoir sa culture à travers son restaurant, elle souligne cependant la nécessité pour les Haïtiens de parler le français. Le français et le créole haïtien sont les deux langues officielles du pays. Pourtant, le français n’est parlé que par 10% de la population. La cause première ? La non-scolarisation d’une grande partie des enfants. ‘Il est important de garder la langue française, par rapport à notre histoire et notre passé colonial mais aussi parce que ça nous permet d’avoir une ouverture sur le monde. On ne parle le créole haïtien que dans notre pays. Parler français permet d’échanger avec d’autres francophones’, clame Windy.

Daniel Rault, président de l’association ‘Haïti Moun pour l’éducation et pour la vue‘ est du même avis. Pour lui, ‘le créole est une très belle langue mais elle ne suffit pas. C’est comme si on ne parlait que l’Occitan en France‘. Fondée en 2008 en Bretagne, le but premier de son association est de permettre aux enfants d’apprendre à lire et à écrire correctement le français. Cela passe par la fourniture de lunettes de vues mais aussi par l’apprentissage du français. ‘Là-bas, les professeurs ont souvent un niveau inférieur à la troisième. Le niveau est très bas. Même certains profs ne parlent pas le français‘, raconte Daniel.

Les écoliers de l'école Etzer Vilaire derrière l'objectif d'un bénévole d'Haiti Moun. Photo prise sur le compte facebook de l'association
Les écoliers de l’école Etzer Vilaire derrière l’objectif d’un bénévole d’Haiti Moun. Photo prise sur le compte facebook de l’association

Une fois par mois environ, des membres de l’association se rendent donc à l’école Etzer Vilaire, à Fond-des-blancs, dans le sud de l’île. Ils organisent jeux et activités pour les enfants afin de rendre l’apprentissage ludique. Problème : là-bas, l’école est difficile d’accès, au sens propre du terme. S’il est en effet aisé de se rendre à l’école quand on habite à Port-au-Prince, la réalité est toute autre pour les résidants d’une commune reculée comme Fond-des-blancs. Dans les campagnes, les enfants doivent souvent plusieurs kilomètres de marche pour atteindre leur école. Et y aller par temps de pluie est quasiment impossible. Le sol est glissant, les routes souvent inondées. Certains doivent aussi garder les troupeaux.

Aujourd’hui, les francophones Haïtiens sont souvent ceux qui possèdent un capital social et économique plus important, comme les médecins ou les ingénieurs. Le créole haïtien est, lui, parlé par l’ensemble de la population‘, relate Daniel. Parler français est indispensable pour trouver un emploi correctement rémunéré, ce qui explique en partie la misère sociale dans laquelle se trouvent beaucoup d’Haïtiens. L’Etat lui, est complètement démuni face à l’ampleur des travaux tant au niveau des infrastructures que des programmes scolaires. Et le tremblement de terre de 2010 n’a rien arrangé. Ainsi, lorsque la majorité des enfants seront scolarisés, le développement du pays pourra vraiment avoir lieu. Pour Winddy, ‘le développement du pays passera avant tout par l’éducation‘.

Pour aller plus loin : 

Jadine Labbé Pacheco

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