Horacio Altuna : « Je suis nostalgique de mon pays »

Cette semaine, à l’occasion des 33ème Rencontres du cinéma Latino-Américain de Pessac, Imprimatur se met dans l’ambiance du cinéma latino-américain, un cinéma coloré mais torturé. Au programme : critiques et interviews.

Le bédéiste Horacio Altuna nous livre sa vision du monde.
Le bédéiste Horacio Altuna nous livre sa vision du monde.

Tranquille. A 74 ans, Horacio Altuna n’a peut-être pas conscience qu’il est dans son secteur un des artistes les plus reconnus, et un fabuleux conteur de destins et d’histoire. Derrière lui, un pianiste joue une musique qu’il semble connaître. C’est dans cette ambiance piano-bar que l’argentin, auteur d’une bande dessinée intitulée Hate Jazz, décide de se livrer. Sur l’actualité, sur ses dessins, et sur une Argentine qui lui manque toujours.

Comment trouvez-vous la France ?

Pour moi, la France fait partie de l’Europe. Et je suis assez critique envers l’Europe. Je suis de gauche, et la politique de l’Union Européenne est néo-libérale. En ce sens, cela ne me plait pas. Cela ne me plait pas qu’on commémore la chute du mur de Berlin, alors qu’on construit chaque jour de nouveaux murs, au sud ou au nord de l’Europe, alors que les réfugiés arrivent. Je pense à ce qui se passe à Calais par exemple. Cela rappelle des périodes sombres de notre histoire. Et la France, comme l’Espagne où je vis, fait partie de ce contexte là.

La France a aussi commémoré début janvier les attentats de Charlie Hebdo. Comment avez-vous réagi en tant que dessinateur ?

L’attentat contre Charlie Hebdo est quelque chose d’horrible et de douloureux. Tuer un dessinateur pour son travail, c’est comme tuer un taxi qui s’apprête à conduire, cela n’a pas de sens. Je suis Charlie car je défend la liberté d’expression. Là où je ne suis pas Charlie, c’est que l’humour que pratiquait Charlie n’est pas le mien, j’en serais incapable. Ce qui ne veut pas dire que je ne ferais pas tout pour qu’ils puissent exercer leur travail. Je préfère pour ma part les histoires avec du contenu social, les histoires quotidiennes, où l’on peut explorer les traditions, les rapports humains. En quelque sorte, prendre du recul pour peindre une société, mais sans avoir la prétention de la modifier. Mais c’est difficile d’exercer notre métier actuellement, en Espagne, par exemple, il existe une censure.

De quelle censure parlez-vous exactement ?

Le politiquement correct est la censure de notre temps. On prend du temps à garder les formes. Si on définit la liberté d’expression de manière aussi frontale comme l’a fait Charlie Hebdo mais qu’on ne peut pas faire une blague machiste (je précise que je n’aime pas cela), alors de quoi parlons-nous ? De la même manière, si l’on fait une blague sur n’importe quelle minorité, mais que l’on appartient pas à cette minorité, alors cela va être directement interprété comme un manque de respect. C’est une forme de censure. Avant, en Espagne, il y avait beaucoup de dessinateurs qui faisaient de l’humour comme Chumy Chumez ou encore Miguel Gila, qui ne pourraient plus faire leur travail aujourd’hui.

« L’Argentine me manque »

Parlons de la dictature argentine. Quels sont vos souvenirs de ce temps-là ?

Je n’ai jamais été empêché de faire mon travail en tant que dessinateur. Mais j’ai beaucoup d’amis qui ont disparu, qui sont morts. C’était une époque horrible. La seule chose à faire aujourd’hui, c’est avoir de la mémoire, et se rappeler pour ne pas oublier, et pour que cela n’arrive plus. Le gouvernement de Cristina Kirchner avait initié ce processus. Mais, la droite au pouvoir, je ne suis pas sûr qu’elle conserve cela.

Las puertitas del señor Lopez (les petites portes de Monsieur Lopez), votre bande dessinée, racontait pendant la dictature comment un homme simple s’inventait des histoires pour fuir la réalité. C’était un moyen de montrer qu’on ne peut pas censurer l’imaginaire ?

En partie, oui. Nous avons fait cette bande dessinée, avec Carlos Trillo, durant la dictature. Tout le monde était un peu « señor Lopez », car nous avions tous peur. Ce personnage est incapable de modifier la réalité et de se révolter contre cela, et à l’époque, nous faisions pareil. Alors, les lecteurs en ont fait une interprétation politique, et cette bande dessinée a eu un franc succès. Aujourd’hui, quand quelqu’un cherche a fuir sa réalité en Argentine, on lui dit qu’il cherche « una puertita de no sé que ». J’ai fait une autre bande dessinée qui s’appelait El Loco Chavez. La petite amie du protagoniste s’appelle Pampita. Et aujourd’hui, c’est devenu un nom commun en Argentine pour désigner une fiancée, alors que cela fait quarante ans ! Ce succès me rend heureux.

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« Je n’aime pas qu’on me cantonne à de la BD érotique »

Pourquoi avoir décidé ensuite de réaliser des BD érotiques ?

En fait, je n’avais plus de travail. J’avais un ami qui était rédacteur en chef du magazine Playboy en Italie, et je lui ai demandé si je pouvais faire quelques dessins pour sa revue. Mais je veux être clair : si vous tapez « Horacio Altuna » sur Google, vous allez voir des dizaines et des dizaines de planches érotiques. Mais j’ai fait beaucoup de dessins qui ne sont pas du tout osé ! Maintenant, je suis catalogué comme dessinateur de ce type-là. Je ne renie pas du tout cette aventure, mais j’ai fait tellement d’autres choses…

Mais c’était une manière de surprendre tout le monde ?

Non non, en fait, j’ai commencé car j’avais des facultés pour dessiner des femmes. Et surtout, je n’avais pas de travail ! Si ces circonstances-là n’avaient pas été réunies, je n’aurais sûrement pas travaillé pour Playboy !

Parlez-nous de votre rapport aux femmes dans votre œuvre…

Ce qui me plait le plus, ce sont les figures humaines. Je peux dessiner quelqu’un de très beau, ou à l’inverse, quelqu’un de très laid. Mais ce talent pour portraiturer des femmes, peu de mes confrères l’ont… Et dans mes bandes dessinées, les femmes sont souvent plus intelligentes, plus lucides, plus belles que les hommes. Pour ne pas être machiste (rires).

Dans une interview au journal argentin La Voz, vous déclariez être « nostalgique ». De quoi et pourquoi ?

Je suis nostalgique de mon pays, de ces amis que j’ai laissés. Bien sûr, lorsqu’on arrive dans un nouveau pays, on découvre d’autres modes de vie, mais c’est différent. Je ne suis pas un exilé. J’ai choisi de partir. Je suis un immigré, et un immigré laisse des choses derrière lui. J’ai la nostalgie de mes amis, des lieux, de la nourriture. Comment vous expliquer… Quand je vois un taxi à Buenos Aires, je sais qui il est, ou comment il fonctionne. Quand je vois un taxi à Bordeaux, je ne le sais pas. Ça me manque…

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Horacio Altuna expose quelques unes de ses planches jusqu’au 15 mars à la librairie La Mauvaise Réputation.

Propos recueillis par Mickael Chailloux

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