« La pantalla desnuda », histoire d’une sextape au Nicaragua

Cette semaine, à l’occasion des 33ème Rencontres du cinéma Latino-Américain de Pessac, Imprimatur se met dans l’ambiance du cinéma latino-américain, un cinéma coloré mais torturé. Au programme : critiques et interviews.

Et pour démarrer, le film nicaraguyen de la réalisatrice Florence Jaugey : « La pantalla desnuda ». Sorti en 2014, ce drame s’attaque au phénomène des sextapes.

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Esperanza, héroïne de « La pantalla desnuda », se fait filmer à son insu… © D.R.

Deux adolescents montrent leur profil à la caméra. Ils s’embrassent, avec la fougue d’une passion que l’on sent dévorante. Ils se déshabillent, et alors qu’ils commencent à faire l’amour, le garçon sort son smartphone, et ouvre l’application « Vidéo ».

Alex et Esperanza filent le parfait amour : lui, visage émacié et gel dans les cheveux, elle, plutôt mignonne. Comme les adolescents de leur âge, ils échangent beaucoup par téléphone. Et cela ne semble pas trop plaire à Octavio, l’ami d’Alex. Lors d’une soirée entre amis, il lui subtilise son portable et tombe sur des vidéos sur lesquelles il n’aurait peut-être pas du tomber. Des vidéos intimes qu’il met directement en ligne.

La jalousie responsable

Ce récit simple (et parfois prévisible) est sublimé par l’effervescence que provoque la mise en ligne des vidéos. On suit avec intensité les étapes qui mènent Octavio (de loin le personnage le plus intriguant du film) à réaliser son forfait, dans sa chambre peu éclairée. Jour et nuit, le voilà qui scrute le nombre de vues de cette vidéo. La réalisatrice explore la part d’ombre et de lumière du personnage joué par un Roberto Guillen quasi machiavélique.

Une scène qui a tendance à se banaliser : en 2013, une étude réalisée par l’institut de sondages IFOP statuait que 10% des personnes sondées, âgées de moins de 50 ans, ont déjà filmés leurs ébats sexuels. Aux Etats-Unis, un autre chiffre montre comment l’échange de données sexuelles  s’étend : près de huit Américains sur dix ont déjà échangé des messages à caractère sexuel par SMS. Et parfois, le harcèlement est poussé à l’extrême, comme lorsque la créatrice de jeux vidéos Zoe Quinn a vu déferler une pluie de messages haineux, après que son ex-petit ami ait dévoilé des photos intimes d’elle. Bien souvent, comme dans le film, ce sont des proches qui diffusent ce type de vidéos, comme dans le cadre du « revenge porn ».

Prendre conscience des dangers

Car ce qui nous coupe le souffle dans « La pantalla desnuda », c’est la réaction des adultes et de la petite ville de Matagalpa, au Nicaragua. Sur la petite boutique de photocopies de la mère d’Esperanza, on tague les gémissements de sa fille, on regarde la vidéo dans les cybercafés ou durant des veillées. Il y a ce sentiment d’une humiliation collective qui se déroule sous nos yeux. On se sent mal à l’aise, mais c’est justement le but : prendre conscience des dangers de trop exposer sa vie privée.

« Le téléphone tient lieu aux jeunes d’ami virtuel, d’animal de compagnie, de boîte à trésors. Pour les ados, le téléphone est une immense agora, un lieu de vie. On se note entre potes, on se met en scène, on se filme en permanence… » assure le psychiatre Stéphane Clerget dans une interview accordée à l’Obs. Reste qu’en sortant de cette projection, on a un goût amer. Car la victime dans cette affaire reste la femme, considérée comme une moins que rien. Mais ce qui est profondément désespérant est profondément réel. Le film fait oeuvre d’éducation publique.

« La pantalla desnuda » de Florence Jaugey sera projeté au cinéma Jean Eustache de Pessac dimanche 13 mars à 20h30. Une rencontre avec la réalisatrice est prévue à la suite du film.

Mickael Chailloux

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