Les vacances approchent et l’inquiétude grandit chez les voyageurs. Comme en 1995, la grève contre la réforme des retraites incite les usagers à s’organiser entre débrouille et solidarité. Mais aujourd’hui, les réseaux sociaux et les plateformes de transport renouvellent les possibilités pour éviter la galère.
Automne 1995, la France connaît une paralysie totale pendant trois semaines de grève suite à la volonté du gouvernement d’Alain Juppé de réformer les systèmes des retraites et de la Sécurité Sociale. A Paris, les transports publics sont à l’arrêt et les citadins s’adaptent. Progressivement l’entraide s’impose et le covoiturage est mis en place. « Les écoles étaient presque toutes fermées, les parents s’arrangeaient entre eux pour garder les enfants et partageaient les trajets », détaille Claire. A l’image de Mai 68, l’auto-stop devient la norme durant une dizaine de jours. « Les gens s’arrêtaient pour prendre des passagers au feu rouge », se remémore Jean-Claude pour qui la grève n’est pas que souvenir de galère. « Il régnait une ambiance particulière, très agréable. J’ai fait beaucoup de rencontres amicales à cette période », poursuit-il.
A Bordeaux, à la même époque, Frédéric Neyrat n’a « pas souvenir d’un important mouvement de solidarité entre les gens. Je me souviens surtout d’avoir beaucoup marché à pied comme tout le monde », tempère le professeur de sociologie. « On était déjà dans un autre monde que celui de 1968, où effectivement on constatait partout des logiques de solidarités entre les usagers, mais en 1995 il n’y avait pratiquement plus d’auto-stop. En tout cas à Bordeaux, à Paris c’était différent », analyse-t-il.
Omniprésence des plateformes de transport collectif
Aujourd’hui, à l’heure où l’on observe une intensification de la mobilisation nationale, notamment dans les transports, depuis les annonces d’Edouard Philippe du 11 décembre, ce sont les entreprises spécialisées dans le transport collectif qui en profitent. « Ces plateformes en ligne ont bouleversé le système d’entraide. Ce modèle économique a fait émerger une nouvelle forme de solidarité. On pense que les gens vont se débrouiller avec les moyens qui existent, donc on ne ressent pas le besoin d’aider celui qui attend sur le trottoir », explique Frédéric Neyrat.
Depuis quelques jours, les bus longue distance affichent complet. Le réseau BlaBlaBus (ex-Ouibus) a vu la demande affluer depuis le début du mouvement de grève. « On a enregistré deux fois plus d’activités », se félicite le porte-parole de l’entreprise. La combinaison des vacances et des perturbations liées à la continuation de la grève incite la société à augmenter son offre. « On s’attend à observer la même tendance ce week-end donc on a proposé deux millions de places sur l’ensemble de nos plateformes, soit la capacité 5 000 TGV », résume-t-il.
Face à l’explosion des réservations, la société fait le choix de promouvoir son réseau de covoiturage « pour absorber toute la demande ». Une solution plus économique également, alors que Flixbus et BlaBlaBus sont accusés de gonfler le prix de leur billet (voir ci-contre), « les prix sont fixes puisque l’on reste sur du partage de frais », assure le service communication de BlaBlaCar.
Élan de solidarité sur les réseaux sociaux
Une alternative qui fonctionne : le nombre de trajets proposés a plus que doublé. Pourtant, malgré le succès de ces plateformes, de nombreux usagers s’organisent sur les réseaux sociaux pour faire perdurer l’âme initiale du covoiturage. Depuis quelques jours, les publications se multiplient sur les groupes dédiés, loin de la logique de profit ériger par les leaders du transport collectif.
Un véritablement engagement solidaire pour certains. Laurene fait partie de ceux qui proposent des places dans son véhicule. Gréviste depuis le début du mouvement, la Parisienne a décidé de franchir le pas du covoiturage pour la première fois. « Comme à chaque vacance, j’ai prévu de prendre ma voiture pour rentrer à Bordeaux, mais cette fois j’ai décidé de partager mon trajet car avec la grève je me suis dit qu’il fallait rendre service », explique-t-elle. « Le choix de Facebook s’est imposé pour favoriser des échanges plus directs, c’est toujours plus agréable quand on a pu communiquer en amont avec la personne ». Une alternative qui rappelle l’élan de solidarité de 1995.
Alexis Czaja