Et l’amour s’en va

Le troisième confinement fait plus que jamais appel à nos capacités d’adaptation : gestion du télétravail et des relations amoureuses, de nombreux couples voient leur liaison impactée par ce nouveau volet de la crise sanitaire. 

Le 31 mars 2021, Emmanuel Macron annonce un troisième confinement. Généralisation du télétravail, école à la maison de la maternelle à la terminale et limitation des interactions sociales : « On ne peut rien faire depuis longtemps déjà, c’est long et cela nous pèse plus qu’au premier confinement, » amorce Louise. En mars 2020, cette kinésithérapeute de 27 ans avait vu le confinement comme une opportunité de se recentrer sur elle et son couple: « Je sortais d’un burn out, j’avais besoin de me reposer. Avec Mathias, on en avait profité pour enfin prendre le temps de vivre ».

Le couple partage un appartement de 40 mètres carrés à Bordeaux. Depuis la crise sanitaire, leur quotidien est rythmé par les exigences du télétravail : « Être tout le temps ensemble fait ressortir nos problèmes. Avant, je prenais du temps pour moi, je sortais voir d’autres gens ». Le manque d’intimité, d’espace, d’activités, de relations sociales réunit des facteurs déstabilisants, que de nombreux couples n’ont pas l’habitude d’affronter en temps normal. « Le confinement a mis en exergue les fragilités des deux individus qui forment le couple », analyse Berrine Janssoone, psychologue spécialiste des thérapies de couples à Aix-en-Provence. Elle tient à préciser : « Il faut faire la part des choses entre ce que la pandémie a apporté de négatif et ce qu’il y avait déjà avant la crise sanitaire. Si un couple explose ou dysfonctionne pendant le confinement, c’est qu’il y avait déjà quelque chose qui ne fonctionnait pas. Le confinement est un révélateur. Il permet une mutation, ce qui peut être positif.  » 

La perte d’espaces à soi 

« Personnellement, c’est le fait de ne jamais avoir l’appartement pour moi toute seule qui était le plus difficile. Avant, Mathias allait au basket, ou bien il travaillait plus tard que moi. Là, cela n’arrive plus. Lui comme moi, nous regrettons nos moments de solitude dans la semaine » remarque Louise. Le confinement a également bouleversé le quotidien de Laura, 30 ans, en couple avec Arnaud: « Avant, je passais plus de temps au travail qu’à la maison, comme beaucoup de français d’ailleurs » remarque-t-elle. « Le premier confinement a été dur. A ce moment-là, j’ai dit à mon compagnon que si on passait ce cap, on pouvait passer pleins d’autres épreuves du couple. Parce qu’être tout le temps l’un sur l’autre, ne pas pouvoir sortir, être avec les enfants, mine de rien, il y a des fois où c’est compliqué. » Pour sa part, Cyril, la trentaine, regrette le trajet entre son travail et son domicile : un “sas de décompression » essentiel pour ce bordelais. Avec le télétravail, le couple qu’il forme avec sa compagne Maryse subit « un mélange des genres » où le professionnel s’invite dans le domicile: « Avant, quand on allait travailler, on avait ce temps inestimable de passage entre vie professionnelle et personnelle. »

Un face à face qui passe, ou qui casse 

Pour Berrine Janssoone, le confinement donne aux couples « une chance de se redécouvrir ». La psychologue remarque que la routine vécue habituellement par les couples, ne leur permet pas de prendre le temps de se connaître en profondeur : « Le matin, au réveil, ils ont un rapport sexuel vite fait, ils prennent leur petit dej’, et bye bye. La plupart des couples passent les trois quarts du temps sans voir leur conjoint. Ils voient plus leurs collègues que leur partenaire et leurs enfants. » Un quotidien qui ne permettrait ni d’être présent pour son couple, ni pour soi. Or, apprécier sa solitude s’est avéré essentiel pour le couple de Louise : « même si on a plusieurs pièces dans l’appartement, ce n’est pas pareil quand l’autre est à côté. Je me rends compte que je n’ai pas besoin juste d’une heure pour moi, mais d’une soirée entière pour faire ce que je veux. » Depuis le confinement, la jeune femme se surprend à rechercher une solitude qu’elle fuyait auparavant. Avant, quand Mathias n’était pas là, j’étais angoissée: je  n’avais plus l’habitude d’être seule. Maintenant, je suis presque contente de ressentir un peu d’angoisse. »

Qu’est-ce-que la charge mentale ? Crédits Emma Rodot

Une charge mentale difficile à affronter pour les couples avec enfants 

Quand elle a appris la nouvelle d’un troisième confinement, Maryse est tombée de haut : « A la troisième vague, quand j’ai vu qu’on était reconfinés, même si ce n’était qu’une semaine, mon moral a pris un coup. Après, j’ai relativisé, mais ça a été tellement éprouvant la première fois, de concilier ma vie de maman, ma vie professionnelle, et de jouer le rôle d’enseignante pour mon garçon, cela a été rude », soupire-t-elle. Au premier confinement, les enfants étaient privés de classe en présentiel. Les parents ont alors dû prendre le relais des instituteurs et institutrices. « Il faut arriver à gérer tout ça en même temps, la charge mentale est conséquente. Pour mon compagnon c’est pareil, mais en plus, il travaillait. Quand il rentrait à la maison, c’étaient des cris, des pleurs », se souvient Maryse, encore marquée par cette période inédite pour elle. Le passage en CM1 de leur garçon, alors âgé de 7 ans, provoque des tensions dans le couple qui se sent responsable de la réussite scolaire de leur enfant : « On était un peu plus sur les nerfs entre nous, par moments moins tolérants envers notre fils… On s’agaçait plus vite, on culpabilisait… » se rappelle la jeune mère, qui espère, tout comme Cyril, que ce confinement ne sera pas prolongé. Le couple est unanime, « On n’a pas d’épaule sur laquelle se reposer, c’est ça le plus compliqué »

Depuis la crise sanitaire, Berrine Janssoone a accueilli de nombreuses femmes dans son cabinet qui subissent une charge mentale décuplée par le confinement : « Depuis la nuit des temps, on confine les filles et on les conditionne a un rôle bien précis : des poupées pour jouer, apprendre à faire la vaisselle…». Selon l’Insee, les femmes passent 1h34 à s’occuper des enfants chaque jour, contre 43 minutes pour les hommes. Concernant les tâches ménagères, elles y consacrent en moyenne 3h13 de leur temps, contre 1 h 12 pour les hommes. « Et encore, cet indicateur synthétique ne prend pas en compte le poids de la fameuse charge mentale, c’est-à-dire du temps consacré à organiser tout ce qui se situe dans la sphère domestique et qui est, par nature, très difficilement quantifiable », rappelle l’Ifop. Pour Berrine Janssoone, là encore, le confinement révèle une structure inégale du couple : « Il y a un déséquilibre, qui devient flagrant pendant le confinement. La femme se rend compte qu’elle porte toutes les charges sur le dos. » Cette prise de conscience liée au confinement doit pouvoir être exprimée au sein du couple selon la psychologue. Sans cela, c’est la sexualité de la femme qui est en danger: « Il y a des femmes qui avaient une hypersexualité, épanouies, débridée. Pendant le confinement, elles ont mis une ceinture de chasteté, à cause de leur surcharge mentale, le sentiment d’être incompris. »


Qu’il ait des effets positifs ou négatifs, Berrine Janssoone invite à voir le confinement comme un espace-temps permettant de “déconditionner pour reconditionner” le couple. Et pour cela, la psychologue insiste : « Il est essentiel d’apprendre aux gens à se parler. La parole guérit ».

Crédits : Juliet Malfoy

Padoan Floriane et Emma Rodot

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