Recherche auditive : Bordeaux en quête d’un nouvel élan

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a publié le 2 mars son premier rapport sur l’audition. Ses conclusions sont alarmantes : d’ici à 2050, un quart de la population mondiale souffrira de déficience auditive. Catherine Semal, enseignante-chercheuse à l’université de Bordeaux, dresse l’état des lieux de la recherche sur la santé auditive. 

Le rapport de l’OMS soulève la nécessité de prendre en compte l’audition comme problème de santé publique. Ce constat rejoint-il vos observations ?

Je ne suis pas étonnée par les conclusions de ce rapport. Actuellement les troubles auditifs sont sous-évalués dans la population. Il y en a plus qu’on ne le pense et les moyens de dépistage par audiogramme ne ciblent pas toutes les déficiences.

Pensez-vous qu’à Bordeaux, la recherche et la prévention sont en capacité d’anticiper les problèmes d’audition qui se poseront dans le futur ?

Bordeaux a été une grande ville de l’audition en héritage de l’ancestrale valeur sanitaire de la ville d’Arcachon (ndlr : Arcachon était une station balnéaire prisée pour sa médecine thermale). En 1955, le laboratoire d’Audiologie Expérimentale a été créé au sein de l’Université Bordeaux 2 permettant l’essor de recherches sur l’audition. Puis, les années ont passé et il y a eu une rupture. Le domaine de la recherche sur les questions de l’audition a chuté et ça continue encore aujourd’hui. Dans mon centre de recherche, l’INCIA (Institut de neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine) par exemple, certains chercheurs partent à la retraite et ne sont pas remplacés ; d’autres, plus jeunes, quittent Bordeaux pour rejoindre des laboratoires parisiens. Nous manquons de postes, de chercheurs mais aussi d’enseignants. Mais cela n’empêche pas d’avoir des professionnels de santé qualifiés à Bordeaux. Ces derniers temps, la ville revient sur le devant de la scène en ce qui concerne la neuroscience fondamentale.

Vous travaillez sur la perception auditive en psychologie, pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?

Je travaille dans le domaine de la psychoacoustique, c’est-à-dire l’étude de la perception auditive, une branche de la psychologie expérimentale. J’enseigne auprès de futurs ingénieurs spécialisés dans la cognitique. Cette discipline prend en compte le comportement humain, pour adapter l’ergonomie et le design des sites internet par exemple. La psychologie expérimentale a, entre autres, comme objet d’étude la perception et propose des modèles de fonctionnement du cerveau. Nous étudions la perception auditive humaine en réalisant des expériences sur des sujets humains. Pour prendre un exemple simple, au lieu d’implanter des électrodes dans la tête d’une souris pour savoir comment fonctionne le cerveau, nous demandons directement à un individu d’appuyer sur un bouton lorsqu’il entend un son. À partir des résultats obtenus, nous formulons des hypothèses sur ce qu’il se passe dans le cerveau, en lien avec l’audition.

Comment vos recherches sont-elles financées ? Votre secteur a-t-il plus de mal à obtenir des financements par rapport à d’autres?

Mon domaine d’études est peu coûteux. Une fois les cabines insonorisées construites, le matériel de contrôle et d’émissions des sons acheté, les seuls besoins se déclinent en ordinateurs fixes et logiciels classiques de synthèse sonore. Le budget est essentiellement dépensé pour ce que l’on nomme les « essais cliniques » : ils rétribuent les participants aux expériences. De manière générale, il est assez facile de trouver des financements dans ce domaine. Nous pouvons nous tourner vers plusieurs institutions, la région Nouvelle Aquitaine, l’université de Bordeaux, le CNRS et même vers des contrats privés, comme avec des entreprises de prothèses auditives. 

Voyez-vous des voies d’amélioration possibles dans ce secteur de recherche ?

Comme je suis membre de la section 26 « Cerveau, comportement, cognition » du Comité National du CNRS depuis presque dix ans, j’ai l’occasion d’apprécier des dossiers de candidature rédigés par de jeunes collègues voulant devenir chercheurs dans le domaine des neurosciences et intégrer des laboratoires de Bordeaux. Je peux dire que la section 26 est très prometteuse et d’excellence en ce qui concerne les neurosciences en général. Le matériel technique est en plein développement et nécessite de hautes compétences.  Pour améliorer l’essor de la recherche bordelaise, il faudrait davantage de postes de chercheurs et aussi de postes d’ingénieurs, assistants de recherche et d’informaticiens.

La Fondation pour l’audition, nouvel acteur dans la recherche sur la santé auditive

La Fondation pour l’audition veut s’imposer comme l’acteur incontournable du financement des recherches sur la santé auditive. Créée en 2015 par Françoise Bettencourt Meyers, Jean-Pierre Meyers, et la Fondation Bettencourt Schueller, elle accorde différentes bourses de recherche. Didier Dulon, chercheur en neurosciences à l’Inserm et au CHU Pellegrin, en a gagné une d’un montant de plus de 200 000 €, de 2015 à 2018, pour ses recherches sur les neuropathies. “Avant la Fondation, il n’y avait rien. L’université me donne 2 000 € par an, à peine de quoi payer le téléphone.” Le chercheur s’inquiète pour l’avenir. “On manque d’argent partout. La crise du Covid-19 l’a bien montré : dans le domaine de la recherche biomédicale, on est très en retard.”

Lauryane Arzel et Ludivine Ducellier

Retour en haut
Retour haut de page