Le dilemme des proches aidants

L’épidémie du coronavirus a fortement perturbé près de 11 millions de Français qui accompagnent au quotidien un proche âgé, malade ou handicapé. Confrontés au délitement d’une organisation souvent millimétrée, ces aidants sont tiraillés entre un soutien nécessaire, un sentiment de culpabilité et le danger d’une diffusion du virus sur une population fragile.

L’allocution de Sophie Cluzel, au deuxième jour du confinement, a posé les premiers jalons de l’organisation des proches aidants pour les semaines à venir. Les yeux presque immobiles, fixés sur son prompteur, la secrétaire d’Etat au handicap s’est montrée favorable à la continuité de l’accompagnement. Pourtant, plusieurs proches aidants se retrouvent aujourd’hui démunis face à cette crise inédite et peinent à s’adapter. Les mesures et les consignes données sont confuses pour cette population confrontée à une situation très spécifique.

Une désorganisation générale par manque d’information

Jonglant entre son domicile et celui de sa mère à Barrière de Bègles, Christelle Angebault tente de s’organiser. «Ma maman est confinée chez elle, en sécurité. On évolue au jour le jour, on verra bien ce qu’il se passe après », précise l’aidante de 47 ans qui accompagne depuis plusieurs années sa mère, souffrant d’une pathologie psychiatrique. Cette chargée de clientèle dans le milieu bancaire qui travaille à 40% pour s’aménager du temps ne cache pas son inquiétude. « Je ne veux rien lui transmettre, c’est le risque numéro un », lance Christelle. Suivant les consignes d’une infirmière, prodiguant régulièrement des soins au domicile de son parent, elle a décidé de se mettre en retrait pour plus de sécurité. « Il y a tout de même des intervenants chez elle. Les infirmiers, des gens qui viennent faire les courses et le ménage. Ce n’est pas simple », martèle Christelle, anxieuse du risque de contagion. Toujours à l’affût des nouvelles sur l’épidémie et des mesures annoncées, elle dénonce un manque de clarté et « le manque d’information sur ce genre de situation », alors que le gouvernement autorise toujours la tâche des aidants.

Même son de cloche de l’autre côté du périphérique bordelais, à quelques encablures de Canejan, où réside Béatrice Pieroni. Après de longues années d’aidance auprès de sa mère qu’elle a décidée de placer en janvier dans un EHPAD pour soulager sa mission, cette femme de 64 ans est désormais sevrée de ses visites quotidiennes depuis l’interdiction des visites en EHPAD. Le lien avec l’institution se tisse désormais par mail. Une disposition qui passe mal pour Béatrice, qui ne cache pas son inquiétude. « Je pense que les directeurs d’EHPAD font le maximum. Mais on a pas une information stricte, c’est trop flou. ». L’établissement, où est placée sa mère, l’assure, aucun cas de coronavirus n’a été détecté parmi les résidents. Mais la réponse ne convient pas à tout le monde. « On sait pertinemment que les personnes ne sont pas testées si elles ne présentent pas de symptômes », précise Béatrice très préoccupée par la conjoncture sanitaire. S’ajoute à cette communication lacunaire, ce qu’elle considère être « un abandon total de la fonction publique envers les aînés ».

Des aidants partagés entre pression et culpabilité

Face à une crise du Covid-19 qui bouleverse les habitudes, le sentiment d’abandon prédomine. « Les aidants ont beaucoup de responsabilité. On se met la pression » témoigne Christelle Angebault, qui épaule ses parents depuis sa fin d’adolescence. Aidante depuis plus de 20 ans, Béatrice Pieroni s’est difficilement résolue à placer sa maman dans un EHPAD. La situation actuelle laisse des remords à cette canéjaise. « Depuis quelques semaines je culpabilise. Ma mère serait plus en sécurité chez moi car je respecte strictement les consignes de confinement» confie-t-elle.

La pression du devoir à accomplir rencontre l’incertitude causée par le manque d’équipement des infirmiers et auxiliaires de vie qui accompagnent au quotidien les personnes dépendantes. « Ma mère a des problèmes de bronche, ils avaient déjà oublié de lui donner des médicaments avant la crise. Je ne suis pas rassurée », précise Béatrice Pieroni. « Des aides-soignants ont eu la gentillesse de m’appeler pour que je puisse communiquer avec ma maman. Ils n’avaient pas de masques, les établissements manquent de moyens », renchérit amère la jeune retraitée. Depuis le début de l’épidémie, plusieurs spécialistes dénoncent le manque de matériel de protection pour le personnel des EHPAD, en contact permanent avec des personnes âgées très vulnérables. Le ministre de la Santé, Olivier Veran, a assuré samedi dernier que 250 000 masques avaient été commandées pour équiper les professionnels intervenants auprès des anciens.

Loin des promesses gouvernementales, Béatrice n’a désormais qu’un seul souhait, reprendre sa mère auprès d’elle. « On a un grand jardin, je pourrais m’en occuper. Elle serait plus en sécurité à la maison », souligne-t-elle. En attendant, les aidants se contentent de cocher la case « assistance aux personnes vulnérables » de leurs attestations de déplacement, avec l’espoir que des mesures plus claires viennent soulager un quotidien devenu encore un peu plus difficile.

Dany Tougeron

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