Et toi, pourquoi tu ne fais pas les soldes aujourd’hui?

Ils et elles s’appellent Elouve, Luce, Gabrielle, Tanguy et Khedidja et ont décidé de ne pas faire les soldes hivernales cette année. Âgé.e.s de 21 à 27 ans, ces jeunes boycottent cet événement pour des raisons éthiques, économiques ou encore écologiques. Le dialogue qui suit n’a jamais eu lieu mais a été imaginé à partir des propos que l’on a recueillis.

Elouve : Bon ce matin, comme depuis 2 ans, je n’ai pas envie d’aller faire les soldes. J’en ai marre de ces injonctions à la surconsommation. Vous en pensez-quoi, vous ?

Luce : Oh tu sais, moi ça fait au moins trois ans que je n’achète plus de vêtements. Je me dis que c’est inutile, que j’en ai déjà trop ou que je peux en récupérer gratuitement.

Tanguy : Ah mais carrément, moi j’ai trouvé une mine d’or en fouillant dans les affaires de mon grand-père. Et de toute façon, je ne trouve aucun vêtement dans les magasins qui soient éthiquement responsables.

Luce : Qu’est-ce que tu entends par là ?

Tanguy : Ben tu vois, c’est presque impossible de trouver un t-shirt qui ne soit pas en coton plein de pesticides, ou qui n’ait pas été fait par des enfants exploités au Bengladesh. Une fois au Cambodge, j’ai vu une sortie d’usine. Il y avait au moins quarante personnes debout dans un camion, au milieu des produits. Ça m’a dégoûté.

Elouve : C’est marrant que tu dises ça parce que c’est justement en voyageant que j’ai eu cette prise de conscience éthique et écologique. Pendant mon année sabbatique je suis allée dans des pays en développement et ce que j’ai vu m’a complètement chamboulée. J’ai observé l’impact de la pollution causée par toute cette industrie de la fast-fashion et surtout les conditions atroces dans lesquelles travaillent les ouvrier.e.s étranger.e.s.

Khedidja : Tu sais, mes parents sont ouvrier.e.s agricoles et j’ai pu voir de mes propres yeux ce que fait la consommation de produits exportés et hors saisons à notre environnement et à leur niveau de vie. Ils et elles sont obligé.e.s de vendre leurs produits à prix très bas à des grandes enseignes, ça n’a aucun sens.

Elouve : Les grandes enseignes c’est les pires. Sérieusement, quand est-ce que les gens vont comprendre que les soldes c’est une aberration ? Tout en sachant que le textile est la deuxième cause de pollution mondiale. On n’a pas besoin d’acheter de nouveaux vêtements fabriqués en Chine alors qu’il y a plein de boutiques de seconde main par exemple.

Luce : Des fois je trouve même des vêtements dans la rue. Et ils sont plutôt cools.

Gabrielle : En plus, on ne va pas se mentir, ça fait peur de faire les soldes. Toute cette folie, ces gens qui se ruent sur les étalages, on se demande si ils/elles y prennent du plaisir ou s’ils/elles subissent cette frénésie.

Khedidja : Ah mais moi j’ai des souvenirs horribles de quand j’étais petite et que ma mère nous emmenait à Kiabi pendant les soldes. Pour nous c’était un rendez-vous important parce qu’on avait pas trop les moyens. Mais quand ma mère voulait à tout prix m’acheter une veste et qu’elle participait à la cohue générale, je me sentais mal à l’aise.

Elouve : Si acheter n’est pas un plaisir, on devrait peut-être se poser la question d’une consommation alternative, en dehors de ce système basé sur la croissance. Personnellement je me suis lancée un défi pour cette année, ne rien acheter de neuf.

Luce : Ah oui, moi je le fais déjà mais que pour ce qui est vêtements et maquillage. Et c’est en le faisant que je me suis rendue compte de l’absurdité des modes vestimentaires. On ne devrait pas se soumettre à ces injonctions sociales sur le physique. Un vêtement ne fait pas une personne.

Gabrielle : Surtout que les modes sont par principe éphémères. Acheter, consommer, jeter. Ce cycle détruit nos vies et la planète. Il faudrait qu’on mette en avant une économie parallèle.


Khedidja : Elle existe déjà en plus cette économie. Tout ce que vous avez évoqué comme alternatives, ça en fait partie. Je pense juste que si on veut changer ça à grande échelle, on ne peut pas passer par la voie institutionnelle. Les partis politiques sont eux-mêmes acteurs de ce système.

Tanguy : Oui mais en même temps moi je me dis qu’au bout d’un moment quelqu’un fera bien une loi pour réguler notre consommation ou même interdire les soldes par exemple. En attendant, on doit continuer à les boycotter à notre échelle, et à faire des petits changements au quotidien. Dans mon école d’ingénieur.e.s j’ai vu plein de gens autour de moi modifier leur façon de consommer, c’est encourageant.

Elouve : Oui tu as raison. Chaque individu a sa part de responsabilité. Et puis finalement, quand j’achète je me dis que c’est un acte politique. Si j’achète, je veux acheter écolo, respectueux des animaux et des êtres humains.

Khedidja : Mais alors comment on communique notre message ? Parce qu’à côté, on est envahi.e.s de publicité et de messages qui nous incitent et qui incitent les autres à consommer, surtout pendant les soldes.

Tanguy : Ben moi j’ai rejoint une association, RAP (Résistance à l’Agression Publicitaire) qui milite contre ça justement. Et je pense qu’il faut avant tout en parler autour de nous, à nos proches, ou sur les réseaux sociaux. De la communication entre citoyen.ne.s, finalement.

Elouve : Comme ce qu’on vient de faire là en fait, mais avec les autres. Si nous on a eu une prise de conscience, je suis convaincue que d’autres peuvent l’avoir.

Maëlle Benisty

Crédit illustrations : Julie Chapman

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