Se protéger avec plaisir

A l’approche de la journée mondiale de lutte contre le sida, samedi 1er décembre, de nombreuses actions préventives sont mises en place dans la région. Philippe Mangeot, ancien président d’Act Up-Paris et coscénariste du film 120 Battements par minute, revient sur les limites des politiques préventives actuelles face au sida.

IMPRIMATUR : Pensez-vous qu’en 2018, on est mieux alertés sur les dangers du sida, par rapport aux années 90, période que vous racontez dans votre film 120 Battements par minute ?

Philippe Mangeot : On est peut-être davantage informés aujourd’hui mais on ne l’est pas forcément mieux qu’avant. J’ai pu le voir après la sortie du film justement. A l’occasion de plusieurs débats organisés, j’ai constaté une ignorance globale très partagée sur la possibilité de se faire prescrire un traitement avant toute espèce de prise de risque. Ce traitement c’est la PrEP, pour Prophylaxie Pré-Exposition. Les gens connaissent les traitements a posteriori mais ça n’est pas suffisant.

IMPRIMATUR : Diriez-vous qu’il est aisé d’avoir une sexualité non risquée ?

Philippe Mangeot : De fait, oui, grâce à l’élargissement du spectre préventif et de l’arsenal thérapeutique.  Pourtant, on n’est pas à l’abri de voir une nouvelle catastrophe arriver. C’est la principale raison pour laquelle il ne faut pas abandonner la capote. Certes, elle a un côté has been, mais elle est plus économique que la PrEP qui coûte 1000 euros à la collectivité. En plus de l’argument économique, la PrEP protège du virus du sida mais pas des autres MST, ni de l’apparition d’un virus beaucoup plus méchant que celui du sida. Toutes ces raisons laissent à penser qu’en ciblant les politiques préventives autour de la question du sida, on s’expose à la transmission de saloperies. Si le sida nous est tombé dessus dans les années 90, on n’est pas à l’abri de découvrir des nouveaux virus résistants à la PrEP.

IMPRIMATUR : Les politiques préventives face aux MST sont donc en retard selon vous ?

Philippe Mangeot : C’est exactement ça, elles informent des personnes déjà informées et n’évoquent pas tous les dangers, ni toutes les solutions. Ce serait tellement simple de dire qu’il y a un vrai risque, de le diffuser sur les réseaux sociaux, dans le métro, d’organiser une campagne d’information de grande ampleur. Mais tout cela résulte de choix politique. En France, il y a un vrai problème à traiter du sida, et encore plus des populations les plus exposées. Par exemple, il y a un grand silence sur la question des étrangers en situation irrégulière. La politique migratoire française est telle qu’on laisse des gens à la rue pendant trois à quatre ans, ce qui fait exploser les risques de transmission du virus du sida. A un moment donné, il faudrait rompre ce silence. La question est large et doit englober les politiques migratoires, carcérales, etc…

« Quand on parle de sexualité sans risque, on oublie de parler du plaisir »   

IMPRIMATUR : Comment devrait-on, dans ce cas, parler du sida et des IST/MST ?

Philippe Mangeot : Je pense qu’aujourd’hui il ne faut plus parler en termes de peur du sida. Il faut faire comprendre aux gens que l’on peut avoir une sexualité protégée et heureuse. Quand on parle de sexualité sans risque, on oublie de parler du plaisir, comme si c’était encore tabou. En réalité, il faut choisir le moyen de protection qui nous rend le plus heureux. J’ai mis des capotes pendant des années parce que j’étais terrorisé de transmettre le virus, mais je n’ai jamais aimé ça. Je le faisais car l’idée que je puisse mettre en danger mon partenaire entamait mon plaisir.

IMPRIMATUR : Ce dialogue sur le plaisir doit-il être engagé par les autorités publiques, à votre avis ?

Philippe Mangeot : J’attends aujourd’hui d’un ou d’une ministre de la Santé d’essayer de réfléchir à la question du plaisir collectivement. Mais si l’on veut que ce dialogue ait un impact, ce sont tous les relais institutionnels qui doivent s’engager. Il faudrait parvenir à décloisonner notre approche de la sexualité. Dès les débuts du sida, il y a eu un blocage à ce niveau-là. Par exemple les enseignants prétendaient qu’il n’était pas de leur ressort de parler de sexualité. Ce n’est pas vrai, on ne peut pas dire ça. La sexualité engage des représentations littéraires, philosophiques, éthiques, historiques, biologiques, …Chacun a quelque chose à dire.

IMPRIMATUR : Vous qui avez connu une époque où ce dialogue était particulièrement fermé, quel message souhaitez-vous adresser aux générations actuelles, et même futures ?

Philippe Mangeot : J’aimerais justement leur dire que ce dialogue doit être intergénérationnel. C’est pour ça qu’on a fait un film avec Robin Campillo. Ce film a été fait par des vieux mais son succès est devenu très largement générationnel. Le fait qu’il ait plu à beaucoup de jeunes est fortement encourageant. Après, vu que nos expériences sont différentes, on n’a pas la même sensation d’urgence. A mon époque, on mourait. Si je me réjouis des progrès médicaux actuels, j’aimerais tout de même encourager les jeunes à se faire dépister. Les gens ne savent pas s’ils sont séropositifs, donc contaminants, vu qu’ils ne se font pas soigner. Il manque encore une véritable incitation au dépistage, et j’aimerais que cela change.

 

Propos recueillis par @Maëlle Benisty

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