Plogoff, un village d’irréductibles

A la fin des années 70, alors que la France de Giscard s’engouffre dans le tout-nucléaire, un village résiste encore et toujours à l’envahisseur. Plogoff, dans le Finistère, s’est fait un nom en refusant l’implantation d’une centrale. L’histoire d’un projet avorté à grands renforts de lisier et de lance-pierres.

La Pointe du Raz. Ses flots impétueux, sa lande verdoyante, ses falaises, son phare et… sa centrale. Difficile d’imaginer aujourd’hui que ce site naturel situé aux confins du Cap Sizun – l’un des plus visités du pays – a bien failli accueillir trois dômes de bétons et leur lot de radiations. Une sombre perspective évitée de peu il y a bientôt 40 ans, quand ce grand projet d’aménagement est tombé sur un os : l’insurrection des habitants de Plogoff.

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Désigné en novembre 1978 pour accueillir l’une des treize centrales du programme initié par l’ancien Premier ministre Pierre Messmer, cette commune de 2000 habitants – des familles de marins au long cours et quelques paysans – n’entend pas se laisser faire. Signe que l’époque est au dialogue et à la concertation, c’est dans le journal que le maire, Jean-Marie Kerloc’h, apprend que sa commune a été retenue comme site d’implantation. Cadeau. Mais pour corriger le tir, et parce qu’il s’agit de la procédure légale, la préfecture lance le 31 janvier 1980 une enquête d’utilité publique. Seulement, dès la veille, Jean-Marie Kerloc’h décide de brûler les dossiers d’enquête, en protestation contre des méthodes perçues comme purement technocratiques. A partir de barbelés et de vieux engins agricoles, des barrages sont même élevés pour anticiper toute forme d’intervention.

Mais dès le lendemain, le village est assiégé. Les blindés roulent sur Plogoff et sur le drapeau français. « Les anciens combattants avaient étendu un drapeau sur la voie pour stopper les véhicules de la gendarmerie, se souvient Jean Moalic, acteur de la lutte et président de l’association Plogoff, Mémoire d’une lutte. Mais ils ont eu tout faux. Les véhicules lui sont passés dessus. » Face à la fermeture de la mairie, la préfecture trouve la parade en installant dans le bourg des mairies annexes à quatre roues. Des camionnettes autour desquelles sont déployés des escadrons de gendarmes mobiles pour assurer le bon déroulement de la procédure. Plogoff est envahi.

Un village en état de siège

Au cours des six semaines d’enquête d’utilité publique, seulement une poignée d’habitants se déplace pour signer les registres. Les Plogoffistes, les femmes en particulier, en l’absence de leurs maris partis en mer, mènent la vie dure aux gendarmes. « Elles harcelaient les gardes mobiles, les provoquaient tous les jours, raconte Jean Moalic. Les personnes âgées se mobilisaient aussi, des personnes que je ne pensais pas capables de manifester. » Très vite, c’est l’institution des « messes de 5 h ». Tous les soirs, au départ des mairies annexes, du lisier et des poubelles sont déversés au nez des gendarmes.

Dans le même temps, les Plogoffistes et les écologistes bretons, mobilisés depuis l’annonce des cinq sites d’accueil potentiels dans la région en 1974, se réunissent dans un groupement foncier agricole sur le modèle du Larzac. Après avoir acheté les terres convoités par EDF, ils y construisent une bergerie.  Aux gaz lacrymogènes des gendarmes répondent les lance-pierres et d’autres méthodes moins orthodoxes. Un soir, un gendarme dans le plus simple appareil se serait vu offrir une dernière cigarette avant d’être menacé de finir au pied de la falaise…

La lande bretonne reconvertie en champ de bataille

Outrage et solidarité

Le village, jusqu’alors isolé dans sa lutte, est bientôt rejoint par des militants anarchistes et anti-nucléaires venus de toute la France. Le 14 mars, des Plogoffistes sont arrêtés, et de nombreux incidents éclatent en marge de leur comparution à Quimper. Un procès chaotique couronné par une grève des avocats français qui protestent contre la suspension pour outrage de l’avocat de la défense. Plogoff devient un symbole. A tel point que depuis 2012, un comité de lutte contre l’implantation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes répond au nom de « Comité de Plogoff ».

Et puis, c’est finalement la fin d’un faux suspense : l’avis rendu au terme de l’enquête d’utilité publique est favorable à l’implantation de la centrale. Malgré tout, les manifestations ne désemplissent pas. Le 24 mai, 150 000 personnes se rassemblent à la Pointe du Raz. L’effervescence qui y règne autour de la politique, de l’écologie et des arts place définitivement Plogoff sur la carte des hauts lieux de la contestation d’un gouvernement décrit comme « agonisant ».

Pas dans mon jardin

Conséquence d’une issue inéluctable, le mouvement de protestation commence à lentement se déliter à partir de l’été 1980. Dans les rangs mêmes des manifestants, certains se résignent et vendent à la dérobée leurs terrains à EDF lors de négociations nocturnes. Une chasse aux « mauvais Plogoffistes » sonne la fin prématurée de la lutte.

Tous les espoirs reposent alors sur l’élection présidentielle de 1981. De passage en Bretagne, François Mitterrand promet que « Plogoff ne se fera pas » s’il est élu. Résultat : les 51% du candidat socialiste qui s’affichent à l’écran le soir du 10 mai tuent finalement dans l’œuf le projet de centrale nucléaire. Rideau.

« Nous avions des amis dans la place, comme le ministre de la mer, Louis Le Pensec. C’était plus facile », explique Jean Moalic avant de conclure : « Cela n’empêche que l’on a appris récemment qu’il y avait en fait eu un accord entre Mitterrand et Marcel Boiteux [directeur général d’EDF de 1967 à 1987]. Le deal c’était l’annulation de Plogoff contre le maintien de l’ensemble du programme nucléaire… » 

Jérémy Pellet

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