La fin d’Ebdo : les mags en péril ?

Article polémique, fragilité économique, ligne éditoriale dispersée… Les raisons de la faillite d’Ebdo sont multiples. Mais elles montrent toutes à quel point le milieu de la presse magazine d’information est fragile, à l’heure où de nouveaux titres se lancent sur le marché.

Les unes de ces nouveaux magazines (crédit : Antoine Belhassen)

Dans les kiosques, deux nouveaux magazines se sont télescopés le 23 mars dernier. Comme un chassé-croisé médiatique. D’un côté, le onzième et ultime numéro d’Ebdo avant que la rédaction ne tire sa révérence, faute de financement. De l’autre, le dernier petit canard de la presse française : Vraiment. Ils avaient tout deux l’intention de faire la part belle aux longs reportages et à l’analyse de l’actualité à froid. L’un s’en va, l’autre se lance. « On a parlé entre nous de l’échec d’Ebdo. On connait des copains qui étaient dans l’aventure donc on essaye d’apprendre de leurs erreurs », explique Jean Berthelot de La Glétais, collaborateur auprès de Vraiment.

Ne pas tomber dans les mêmes écueils. C’est là que réside le salut du nouveau magazine : « Nous ne devons pas nous dire que nous allons révolutionner la presse, il faut rester humble dans notre approche », analyse-t-il. Le choix éditorial de Vraiment est simple : 50% des pages sont dédiées à l’information généraliste, les autres à des pages « magazines ». Pour mener à bien ce projet, la rédaction s’appuie sur deux de ses co-fondateurs, « des économistes purs et durs ». Julie Morel et Julien Mendez ont monté un business-model qui doit permettre à Vraiment de bénéficier d’un an et demi de marge financière, selon Jean Berthelot de La Glétais. La stratégie est audacieuse, tant la situation de la presse magazine d’information reste fragile.

Des magazines d’actualité en retard

Si la diffusion de la presse magazine se porte plutôt bien en France, ce sont les titres spécialisés qui raflent la plus grande part de marché. Les ventes de TV-Magazine sont neuf fois supérieures celles de Paris Match. La presse hebdomadaire d’information est à la peine. Parmi les dix magazines les plus vendus en France, aucun ne traite d’actualité, selon les données de l’Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias. ParisMatch se situe au quatorzième rang et il faut chercher L’Obs à la vingt-sixième place pour trouver des titres de « news ». Les déboires des magazines d’actualité s’expliquent par les nouvelles stratégies de la presse quotidienne : « Depuis 2010, les quotidiens s’aventurent sur le terrain de la presse magazine. Les contenus des journaux sont davantage tournés autour d’informations développées, plus longues. A tel point que Serge July (co-fondateur de Libération, ndlr) a déjà qualifié son journal de ‘’quotidien magazine’’ », analyse Jean-Marie Charon, spécialiste de l’étude des médias.

 

La presse magazine d’information est loin de ses heures de gloire, vécues entre les années 80 et 2000. Internet, la numérisation de l’actualité, la gratuité de l’information, voire même la fragmentation du public sont autant d’obstacles à franchir pour le développement d’un magazine. Dans le cas d’Ebdo, le sociologue Jean-Marie Charon avance également une autre explication à son échec : « Le lancement d’un magazine est une énorme prise de risque. Le contenu éditorial doit convenir à un public déterminé. Il y a eu une très longue phase d’appréciation du public. Mais dès la première publication, il y a eu un décalage entre la promesse et la réalisation ». Un décalage qui s’est aggravé suite à la publication polémique de « l’affaire Hulot ».

« Comme une course de ski ratée »

« Certains lecteurs n’ont plus suivi le magazine après l’affaire Hulot. Cela montre que pour un jeune magazine, l’équilibre est très difficile à tenir. Il ne faut pas trahir sa ligne éditorial au risque de déraper très vite », explique Jean-Marie Charon. La déroute de l’hebdomadaire montre à quel point il est difficile de se faire une place dans le paysage médiatique. Trois mois après la sortie du premier numéro, Ebdo ne comptait « que » 8 000 abonnés, quand la direction en attendait 20 000. « Aujourd’hui, un magazine qui fonctionne correctement vend 50 000 exemplaires, comme c’est le cas pour Society », conclut le chercheur du CNRS.

Ebdo suite à l’affaire Hulot (crédit : Antoine Belhassen)

« L’affaire Hulot a pu accélérer la chute », concède un ancien collaborateur du magazine avant d’ajouter : « mais il s’agit surtout d’un échec entrepreneurial indéniable. Se lancer avec une telle fragilité économique était une erreur ». Les retraits d’investisseurs et de banques ont mené le titre au marasme économique. Les ventes en berne depuis l’affaire Hulot n’ont pas pu redresser le navire. À toutes ces difficultés, vient s’ajouter une ligne éditoriale qui se cherchait encore : « Le journal devait évoluer et se mettre en route au fil des parutions. Nous avons peut-être voulu trop sortir des rubriques habituelles pour atteindre le public », explique cet ancien collaborateur du magazine, avant d’ajouter : « Il y a eu plusieurs erreurs. Cet échec c’est comme une course de ski ratée. Nous avons manqué trop de portes pour arriver jusqu’à la ligne d’arrivée ». Pour Vraiment, il ne reste qu’une chose à espérer : que le lectorat ciblé réponde rapidement à l’appel.

Antoine Belhassen

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