Jérôme Bouvier rêve d’une « Villa Albert Camus » du journalisme

L’idée est belle, voire cruciale à l’heure où la profession journalistique est attaquée sur tous les fronts. Lors des Assises du Journalisme de Tours, Jérôme Bouvier – président de l’association Journalisme et Citoyenneté – a présenté un projet intitulé « Villa Albert Camus du journalisme ». Basée sur le modèle de la villa Médicis à Rome, cette résidence a comme volonté première de créer un échange entre les journalistes francophones du monde entier.

Jérôme Bouvier lors des Assises du Journalisme 2018, à Tours. (Crédit : Assises du Journalisme)

L’association Journalisme et Citoyenneté a annoncé ce projet, avec comme point d’orgue une valorisation du journalisme francophone. En quoi Albert Camus représente-t-il cet idéal selon vous ?

Jérôme Bouvier : Camus a été déterminent dans ma volonté de devenir journaliste. Ma lecture affective joue donc un rôle dans le choix de ce nom pour porter ce projet ambitieux. Il faut que ce soit avant-tout un lieu qui évoque un rêve, qui donne envie de faire du journalisme libre.

On est heureux que Catherine Camus ait accepté qu’on utilise le nom « Albert Camus ». Ce ne sera pas un lieu dédié à Camus, mais un lieu qui sera symbolisé par l’exigence journalistique. D’autres projets ont été lancés, mais ils n’ont pas connu la dynamique nécessaire pour vivre. Albert Londres, pourquoi pas… Mais il existe déjà un musée Albert Londres, et je ne souhaite pas faire un musée Albert Camus. Et parmi les noms référents, aucun à part Albert Camus, n’a cet écho sur les valeurs entre France et Afrique aujourd’hui.

Cette proposition repose sur une pensée presque philosophique. Mais quelle serait sa véritable fonction ?

JB : L’idée est née d’un constat : il n’existe pas de lieu d’échange sur le journalisme dans l’espace francophone. Le but de cette villa sera de créer un lien entre le Nord et le Sud pour que les journalistes dialoguent entre eux et que certains puissent venir en résidence. Ce sera aussi un lieu de conservation, afin de valoriser certaines productions. La BNF a répondu favorablement à l’émergence d’un lieu qui accueillerait des documents journalistiques historiques.

On aimerait aussi qu’il devienne un lieu de formation à l’information, que ce soit pour des journalistes ou des enseignants. Enfin, et c’est peut-être le plus important, un lieu symbolique pour la recherche, mettant en valeur les travaux réalisés sur le journalisme.

Il existe déjà des Clubs de la presse un peu partout en France. Qu’apportera de plus cette villa ?

JB : Les Clubs de la presse sont des lieux dans lesquels des journalistes et des communicants se rencontrent pour dialoguer, notamment sur les enjeux locaux et sur la création d’évènements. Ils ne sont ni des lieux de résidence, ni de formation, ni de recherche. Ils regroupent beaucoup de personnes, entre 400 et 500 membres, mais finalement ils n’accueillent qu’un 1/3 de journalistes.

Beaucoup de présidents de clubs de la presse sont au courant de ce projet, plusieurs m’ont posé des questions, mais aucun n’est intervenu. Si la Villa Albert Camus est accueillie dans une grande ville, elle ne fera pas d’ombre au club de la presse locale. Au contraire, ils applaudiront des deux mains, car des liens seront créés.

Lors des Assises du Journalisme qui se déroulaient à Tours, vous avez indiqué que sa construction aurait du sens si elle avait lieu autour du bassin méditerranéen. Pourquoi ?

JB : Il suffit d »évoquer le Printemps arabe, et surtout l’énorme enjeu autour de la liberté de la presse sur les rives de la méditerranée. Sans parler d’un certain enjeu économique. Par exemple, Le Point fait le pari de tourner certaines de ses éditions intégralement vers l’Afrique. C’est toujours plus simple de faire vivre le journalisme lorsque celui-ci est tourné vers l’international. D’ailleurs, on est très heureux du soutien de Kamel Daoud. Il a commencé par des chroniques au Quotidien d’Oran et suit les pas d’Albert Camus dans ses livres. Il représente une exigence journalistique qui permettrait de lier les deux rives de la Méditerranée.

Après, je ne sais pas s’il faut absolument construire cette villa autour du bassin méditerranée. Le tout, c’est que soit intelligemment fait et financièrement possible. Mais lorsque j’étais directeur de la rédaction de Radio-France Internationale, j’ai constaté que le bassin méditerranée était un fort lieu de consommateurs francophones, notamment au niveau des radios.

Kamel Daoud apporte son soutien au projet. (Crédit : Assises du Journalisme)

Pouvez-vous nous parler de la future biennale qui sera organisée à Tunis ?

JB : Ce n’est pas encore officiel, mais j’espère le faire dans les semaines à venir. Les Assises Internationales du Journalisme et de l’Information représentent une communauté importante de la profession. Cette année, nous avons eu plus de 200 demandes provenant de collègues maghrébins. L’idée est donc d’avoir un trépied au Nord avec Tours, mais aussi des Assises du Journalisme de Tunis qui permettraient d’orienter le dialogue vers le bassin méditerranéen. Cet évènement prendrait le modèle d’une biennale : la première, si tout se passe bien, aura lieu en 2018, et l’autre en 2020 à l’occasion du sommet des Chefs d’Etats de la Francophonie.

Quels sont les défis d’un tel projet ?

JB : Existe-t-il un mécénat important prêt à investir dans un lieu qui promeut l’oeuvre journalistique ? C’est ça la grande question, mais elle reste aujourd’hui sans réponse…

Pour entraîner une dynamique, il faut une marque forte. Quand on entend « villa Albert Camus », on pense tout de suite à la villa Medicis. On imagine que le grand public a une forte idée de cette villa Medicis, comme lieu d’exception de la culture française. En réalité, il n’en sait pas grand chose. Au niveau culturel, les grandes marques sont celles des musées, comme Le Louvre ou le Centre Pompidou. Il faut une marque forte et quand on me dit qu’on a besoin d’un centre de la presse francophone, je pense à Albert Camus.

Pour l’instant on ne sait pas où elle sera implantée. On cherche surtout un endroit où des aides financières seront apportées et qui aurait un sens pour notre mission. Si une ville nous indique qu’elle a les locaux et la volonté de nous accueillir, ce sera avec plaisir !

Propos recueillis par Mathieu MESSAGE

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