Le slam donne du rythme à la langue française

Cette semaine, francophonie et langue françaises sont célébrées. Chaque jour, des poètes modernes adeptes du slam font honneur au langage. Imprimatur a rencontré ces artistes qui jouent avec les codes de la langue de Molière. 

photo groupe rognée
Les ateliers slam et rap ont lieu le mercredi de 14h30 à 16h30

« Le hip-hop, c’est de la politique et de l’amour ! ». Le ton est rapidement donné au sein du centre social et culturel Réseau Paul Bert, où se retrouvent les membres de l’association Street DEF Records. Sur la table en bois réservée à l’atelier d’écriture slam et rap, trône un exemplaire du Canard Enchaîné. Fred, qui s’occupe de l’animation ce mercredi, explique : « aujourd’hui, chacun choisit un dessin dans le journal et écrit un texte qui s’en inspire». L’endroit est particulièrement animé. Entre le bar et l’atelier couture, slameurs et rappeurs s’installent.

Ils sont peu nombreux à participer à l’atelier du jour. « Normalement, on a plus de monde, ça dépend de la disponibilité des gens » dit Fred. Chacun son stylo à la main, ils tentent de coucher sur papier le fruit de leur inspiration, dans une ambiance bon enfant. « Pierre m’a volé ma punchline, mais bon, je la lui donne! » rigole Lucie. Les participants ont deux heures pour écrire, « mais chacun est libre d’avancer à son rythme. Si l’un a fini avant les autres, il peut interpréter son texte s’il le souhaite, puis s’en aller, ou rester discuter » explique Fred.

Tout le monde peut participer aux ateliers, sans limite d’âge, sans distinction sociale. Un côté fédérateur que Fred apprécie particulièrement : « ce qui est génial avec le slam, c’est que c’est un des rares champs culturels où les classes sociales se croisent : du fils de médecin au fils d’ouvrier en passant par le gars au RSA. Du coup se pose la problématique des langues françaises : certains écrivent de manière très académique, très pointue, et d’autres viennent avec le langage de la rue, l’oralité prolétaire. Puis il y a ceux qui, comme moi, se font un malin plaisir à torturer la langue, retourner les codes, faire des fautes volontaires. »

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L’écrivaine Sandra découvre l’atelier slam. Elle peine à se concentrer à cause du bruit ambiant

Sandra participe à cette séance pour la première fois. « C’est une copine avec qui je fais des soirées slam qui m’en a parlé ». L’auteure d’Un pavé dans l’édifice n’est pas étrangère au concept, puisqu’elle anime des ateliers d’écriture à la maison des femmes. L’écrivaine découvre l’ambiance au réseau Paul Bert : « ce ne sont pas les conditions idéales pour moi, surtout quand ça discute autant pendant l’atelier. » Pourtant elle réussit à terminer son texte avant les autres, qui attendent le résultat avec impatience.

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« Je vais reprendre mon texte. Normalement je fais des trucs plus drôles ! » déclare Sandra, peu convaincue par sa prestation. Ses camarades la rassurent. « T‘as un noyau super intéressant ! » lance Fred, « tu pourrais carrément faire un spot publicitaire sur l’emploi fictif ». Le groupe éclate de rire, puis chacun reprend consciencieusement son travail d’écriture.

Sandra reste attablée quelques instants. La discussion tourne désormais autour de son engagement militant et de son livre. Ecrire, c’est son dada. « Pour moi, l’écriture c’est le jeu, l’information, la dénonciation, le militantisme, tout quoi. Mon livre, c’est une écriture légère, humoristique, faite de second degrés. Ça ne plait pas à tout le monde car je dénonce beaucoup de choses ».

J’écris en français parce que c’est ma langue natale. Mais plus que la langue française, je défends la liberté d’expression » raconte Sandra, avant de quitter la table.

Du côté de Lucie, aujourd’hui, c’est la page blanche. « Je n’arrive pas écrire, ça veut pas » désespère-t-elle. « Tu te rappelles la première chose que je t’ai dit sur l’écriture ? » lui lance Fred, « Bien écrire c’est…. ». « Le bonheur ? » tente la jeune fille. « Non ! » s’esclaffe-t-il. « Bien écrire, c’est tricher ! Tu ne fais qu’arnaquer les gens avec les mots. Il faut juste trouver le bon agencement ! ».

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« J’ai l’écriture du médecin mais pas le salaire qui va avec ! »

Pour Fred, écrire est devenu naturel. Le coordinateur de l’association a commencé le slam il y a sept ans, alors qu’il rappait déjà depuis plusieurs années. « Le rap, on ne dirait pas, mais c’est très contraignant, très codifié. Le slam, c’est plus libre. Mon rap dynamise mon slam et le slam améliore mon écriture en rap » résume-t-il.

L’écriture, ça permet de se vider, ça fait du bien. Quand je pète un plomb, j’écris. Vaut mieux écrire que péter la gueule aux gens ! »

Un point de vue partagé par Lucie. La jeune fille a découvert le slam grâce à Fred, qui intervenait dans son lycée. Depuis, elle n’a pas décroché : « c’est une partie de ma vie, le slam, c’est un moyen de se livrer et se délivrer en disant ce que l’on veut avec les mots qu’on veut. C’est magique. La langue française est riche et complexe, on peut faire beaucoup de choses niveau technique ».  

Il est bientôt 16h30, l’atelier touche à sa fin. Fred termine son texte. Les autres participants sont presque tous partis. Avant de rentrer chez lui, il interprète dans la rue, loin de la cohue, l’un de ses textes fétiches, « être un homme ».

Alexandra Jammet

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