L’héritage du Micro d’argent

Mehdi, jeune rappeur Bordelais de 22 ans, tente tant bien que mal de concilier la musique et ses études de géographie. Entre deux révisions, il évoque ses premiers souvenirs d’IAM et revient sur L’École du micro d’argent, l’album mythique du groupe marseillais qui vient de fêter son 20e anniversaire.

« L’École du micro d’argent, c’est une référence en terme de rap pur. » Le ton est donné. Alors qu’il passe son examen du Capes dans quelques semaines, Mehdi, plus connu sous son nom de scène Snoupi Dimé, s’autorise une pause furtive. Attablé autour d’un café dans l’un des fast-food de la place de la Victoire à Bordeaux, il vérifie la tracklist de l’album sur son smartphone. « Petit frère, Demain c’est loin, “Nés sous la même étoile… Vingt ans quand même ! » s’exclame le jeune rappeur.

Mehdi alias Snoopi Dimé, moitié du groupe de rap bordelais Passerelle
Mehdi alias Snoupi Dimé, moitié du groupe de rap bordelais Passerelle

Originaire de Talence, Mehdi commence à fréquenter les ateliers d’écriture à l’âge de 15 ans. Il participe par la suite aux open mics des environs et rejoint le collectif de rappeurs bordelais, la 33e mesure. Aujourd’hui, après la sortie de quelques EP solos, il continue sur sa lancée avec Chino, son acolyte au sein du groupe Passerelle.

« Je me souviens de la première fois que j’ai entendu IAM. Ça devait être en 1998 », assure Mehdi. « Quand je regardais les clips sur M6, le matin, je suis tombé sur Petit frère” et les images m’ont immédiatement marqué. »

 

 

Filmées en noir et blanc, les images du clip suivent l’errance d’un jeune de cité. Comme la majorité des textes signés Akhenaton et Shurik’n, les deux MCs du groupe, « Petit frère » retranscrit la vie des quartiers, à l’aide d’une écriture poétique d’une grande précision. Le morceau apparaît sur le troisième album d’IAM, L’École du micro d’argent, considéré comme l’un des meilleurs albums de rap français de tous les temps. Sorti le 18 mars 1997, ce disque est une référence pour tout amateur du genre.

« Tout ce que j’ai pu écouter dans ma jeunesse m’a influencé. IAM en fait partie, même s’il y a bien quelques reproches que je peux leur faire » admet le jeune rappeur, entre deux gorgées d’expresso. « Chez IAM, le texte prime, au détriment de la rime. Pour moi, c’est tout le contraire, le texte doit être à son service. Après, leur grande qualité, ce sont les paroles. Dès la première écoute, t’as saisi le sens. »

« Rap conscient » ?

« A l’époque, L’École du micro d’argent était revendicateur, catalogué comme rap conscient » explique Mehdi. « C’est un terme qui me fait sursauter car ça voudrait dire qu’il y aurait deux sortes de rap, un rap “conscient” et un rap “con”. Mais c’est le rituel. Dans le rap, il faut toujours une catégorie pour mieux connaître ta cible, le public que tu vas viser. Soit tu fais du bling-bling et de l’argent sans dénoncer, soit tu dénonces en suivant ton personnage comme le fait le leader du groupe, Akhenaton. Quand tu l’entends parler en interview, il prend position et assume exactement son rôle ».

La force d’IAM réside dans ses textes, ce qui vaut à la bande d’Akhenaton d’être souvent catalogué comme un groupe de rap plus adulte, un groupe de « rap conscient ». Avec des influences revendiquées de producteurs américains comme Pete Rock ou des rappeurs new-yorkais comme Mobb Depp et surtout le Wu Tang Clan, L’École du micro d’argent vient chambouler le paysage du rap hexagonal. Les productions sont travaillées par des ingénieurs du son en studio, les textes sont étudiés, millimétrés.

Pour clôturer l’album, le titre « Demain c’est loin » fait figure d’ovni dans le milieu. Avec ses 10 minutes de couplets plaqués sur une mélodie hypnotique de 10 secondes et jouée en boucle, le titre a su marquer les esprits, Mehdi compris.

 

 

« Au lycée, alors que j’avais perdu de vue le groupe marseillais, je suis retombé sur Demain c’est loin” » se rappelle-t-il. « Avec Petit frère”, ce sont des textes qui me parlent. J’écoutais ces morceaux alors qu’à côté, j’avais de mauvaises fréquentations. Je me disais : “tu ne peux pas écouter ça et en même temps faire ce que tu fais. Comme une sorte de dichotomie.” »

Avant de retourner bachoter ses cours de géographie, Mehdi tente de cerner en quelques mots la portée indéniable de l’album. « Dans le rap, quel que soit ton style, L’École du micro d’argent fait partie de la culture générale » observe-t-il. « Par respect pour le rap, tu ne peux pas remettre en cause ce que les mecs d’IAM ont fait. Disque de diamant avec plus d’1 600 000 albums vendus, ce n’est pas un score de rap. C’est un succès d’estime. Alors peut-être que les instrus ont un peu vieilli mais la nostalgie fait que j’écoute toujours ces sons avec plaisir. Surtout, les textes sont intemporels. Même 20 ans après, ils sont toujours d’actualité. »

 

Valentin Gény

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