L’hémoglobine fascine

Le beau frère. C’était le beau frère. Après une semaine de suspens et d’enquête, alors que tous les regards étaient tournés vers le fils disparu, l’affaire de la famille Troedec est résolue. Pendant une semaine, certains ont suivi les progrès des recherches de police. Mais quelles sont les raisons d’une telle fascination pour les faits divers les plus sordides ?

« Pour moi, le crime doit être invraisemblable ». Le Nouveau Détective, 100% vrai, faitsdivers.org, Camille, une parisienne de 26 ans, dévore chaque jour les histoires les plus gore qui ont défrayé la chronique. Employée à mi-temps dans une épicerie, il y a même des journées pendant lesquelles la jeune femme enchaîne dix épisodes des Enquêtes impossibles de Pierre Bellemare. Encore plus, Camille ne lit que des livres qui concernent meurtres, agressions sexuelles, ou séquestrations. Son livre de chevet du moment : Le droit de tuer de John Grisham sur viol d’une petite fille dans le Mississipi.

Fascination pour le bourreau

« Ce qui m’intéresse dans ces histoires c’est de comprendre comment le coupable en est arrivé là, c’est l’aspect psychologique », se justifie, comme pour s’excuser, Camille. La ressemblance de certains meurtriers avec des citoyens lambdas est l’une des raisons de la fascination qu’engendrent les faits divers sordides. Il pourrait être vous ou moi. L’identité de la victime, son passé, est parfois mis de côté. Dans Faits Divers, Annales des passions excessives, le journaliste Jean-Claude Baillon livre des éléments d’analyse. Ces assassins sont une véritable énigme pour leurs proches, pour nous, pour la psychiatrie et, on s’en rend compte pendant les procès, pour eux-mêmes. Des personnes ordinaires, qui du jour au lendemain deviennent des criminels. C’est finalement ce qui plaît à Camille : la rupture, le pétage de plombs. En 2010, comment se fait-il que Xavier Moulinas, adolescent issu d’une famille aisée et ordinaire, ait violé puis assassiné Agnès Marin, sa camarade de classe ?
Comment, en 1993, Jean-Claude Romand, a-t-il pu mentir à sa famille pendant dix-huit ans en s’inventant une vie de médecin pour finalement assassiner de sang froid sa femme et ses deux enfants?

En mai 2016, les parents de Xavier Moulinas qui assassiné sa camarade Agnès Marin dans son internat, reviennent sur leur incompréhension face à ce crime sur Arte. 

Parfois, la fascination pour ces meurtriers peut aller très loin. Dans Les Grands crimes sexuels, paru en 1969, le journaliste Roger Delorme revient sur l’affaire du vampire de Dusseldorf qui en 1929 attaquait des jeunes femmes, les violait et leur crevait les tempes pour boire leur sang. Lorsque Peter Kurten, de son vrai nom, fut arrêté : « des centaines de femmes se pressaient aux portes de sa prison, lui apportant des lettres d’amour, suppliant les gardiens de lui demander pour elle un autographe ». Plus récemment, en 2016, à l’occasion des dix ans du meurtre d’Ilan Halimi, Youssouf Fofana, chef du Gang des Barbares recevait de nombreuses lettres d’admiratrices.

Plus extrême encore. En 1923, la cuisinière de Landru, dans lequel l’assassin avait brûlé ses six fiancées a été vendue à un admirateur anonyme.

La guerre du trash

«J’ai été choquée des rumeurs lancées sur le fils Troadec. Il n’avait rien demandé, les journalistes sont allés trop loin. Parfois, je culpabilise, j’ai honte », explique Camille. Ce sentiment de voyeurisme, l’historienne Michelle Perrault l’a baptisé « l’attraction-répulsion pour le sang ».
Plus l’enquête dure, plus le suspens s’intensifie et plus les lecteurs affluent. L’affaire Laetitia Perrais en 2011 en est un exemple. Pendant deux semaines, la jeune fille a été recherchée activement en Bretagne pour que l’on retrouve trois semaines plus tard son corps démembré dans un lac. La journaliste Elodie Souslikoff explique que 47 articles ont été publiés en presse écrite sur un mois d’analyse contre 10 concernant l’affaire Agnès Marin, dont le cadavre a été retrouvé le sur-lendemain de la disparition. Avant les révélations sur le meurtre de la famille Troadec en début de semaine, Camille a ainsi suivi l’avancée de l’enquête chaque jour.

 

La séduction des bas fonds

Les faits divers s’ancrent parfois dans les clichés.Ils alimentent les fantasmes sur des environnements que l’on ne fréquente pas.

L’affaire de Jack l’éventreur en 1888 a fait, par exemple, le tour de l’Europe. Elle se déroulait dans l’East End de Londres, un lieu malfamé où se fréquentaient toutes sortes de marginaux. Elle a d’ailleurs été instrumentalisée par les dirigeants  britanniques de la fin du XIX e siècle pour éradiquer ces quartiers insalubres. Ces lieux infréquentables fascinent les élites de l’époque.

"Jack the ripper attacks woman" , vue d'artiste, paru dans Police Gazette en 1888
« Jack the ripper attacks woman » , vue d’artiste, paru dans Police Gazette en 1888

En 2006, l’exemple de l’affaire du Gang des Barbares fourni un exemple similaire. Un jeune de 18 ans, juif, est torturé pendant trois semaines dans un immeuble HLM de Bagneux en dans la grande couronne parisienne. Les intellectuels et les politiques en font alors un fait divers représentatif d’une banlieue parisienne livrée à elle-même. Les lecteurs sont projetés au sein de cette banlieue inconnue secouée deux ans plus tôt par les émeutes.

Les intellectuels s’y mettent 

Si la guerre du gore est lancée depuis le XIX e siècle, le fait divers devient aujourd’hui un véritable objet d’art qui fascine nos intellectuels. Dans les années 1960, dans son chef d’oeuvre De Sang Froid, Truman Capote revient sur le meurtre d’une famille dans le Kansas. Plus récemment des livres tels que L’appât ou Tout tout de suite  du romancier Morgan Sportes ou encore Laëtitia de l’historien et sociologue Ivan Jablonka sont également des exemples de la montée en gamme du genre. L’adversaire d’Emmanuel Carrère qui revient sur l’affaire Jean-Claude Romand est étudié au lycée pour le bac.

Des fans hystériques des grands criminels aux intellectuels, la fascination pour les faits divers fédère. Camille conclut : « Lire des histoires affreuses, ça me permet de relativiser sur ma vie et d’être positive ». 

Constance Vilanova

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