« On dit négro, mais c’est affectif ! »

Le racisme, une notion dépassée au 21ème siècle? Pas tant que ça. Mais il a simplement changé de forme, s’insinuant de façon plus insidieuse dans la vie quotidienne. Une exposition photo et une rencontre entre jeunes lycéens dans les locaux de Boulevard des Potes pointe les stéréotypes devenus monnaie courante.

« Qui a déjà été victime de propos racistes? » lance Maissa aux lycéens regroupés autour d’elle. Une main se lève timidement, puis deux, avant qu’un jeune murmure « Bah tout le monde…« . Ils sont une vingtaine, assis en cercle, pour discuter de la question du racisme avec des jeunes habitants de Talence. Ces derniers ont participé au projet « Moi aussi, je suis de Talence ». Leurs portraits recouvrent les murs du local, situé entre Saint-Michel et Les Capucins. Les photos sont accompagnées d’une phrase raciste qui les a touché. « A vous de témoigner ! », lance Maissa. Presque tous les lycéens présents ont des histoires à raconter, mais ils sont aussi unanimes sur leur ressenti : « on s’en fiche, ça nous touche pas ». La parole raciste n’est plus taboue, et elle est même devenue banale. « On dit babtou ou négro, raconte un lycéen, mais c’est affectif ». Ils hochent tous de la tête. L’objectif de cette rencontre, dans le cadre de la Semaine de l’éducation contre le racisme, est justement de faire comprendre que ces propos ne sont pas anodins. « C’est pas méchant, ce sont juste des stéréotypes, mais je ne veux pas que mon enfant métis grandisse dans la discrimination », témoigne Maissa. La jeune femme a participé au projet photo exposé jusqu’au 25 mars dans les locaux de l’association Boulevard des Potes.

« Ce genre d’événement est très bénéfique », assure Christian Lagarde, ancien vice-procureur au parquet de Bordeaux. Chargé de la lutte contre les discriminations pendant plusieurs années, il a observé la difficulté des victimes à porter plainte. « Le problème, c’est le manque de preuves. Vous n’êtes jamais sûr que ce « non » à l’emploi ou à l’entrée dans une boîte de nuit est dû à la consonance de votre nom ou à la couleur de votre peau ». Pourtant, il assure que les propos racistes ont augmenté de 30% entre 2014 et 2015 en France. « Et il ne faut pas croire que le racisme, c’est juste les blancs contre les noirs. On le ressent surtout entre nous, les noirs vis-à-vis des arabes par exemple », ajoute Maissa. Ce nom a consonance étrangère lui pose d’ailleurs problème dans le monde du travail : « Je bosse pour une agence de prospection téléphonique, et on m’a demandé de m’annoncer comme « Marie ». C’est pas grave mais ça m’empêche d’être vraiment moi-même ».

« Il faut être excessivement vigilant avec ce genre d’attitude », assure Christian Lagarde. Il  voit ainsi d’un bon œil le projet photo réalisé à Talence : cela « dit aux gens de ne pas se décourager, qu’il y a des associations pour les aider ». Mais au-delà de ces initiatives isolées, il encourage les actions gouvernementales, comme la campagne de testing qui sera lancée le mois prochain. Même si l’effet n’est pas immédiat, ce type d’action a un mérite pour M. Lagarde : « rappeler aux gens que la discrimination tombe sous le coup de la loi ».

Amélie Petitdemange

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