« La mort du disque ? c’est pas demain la veille »

« Plus de CD pour ma part », tweetait le rappeur Kanye West le 7 mars dernier, désirant se consacrer uniquement au streaming. Son annonce a eu l’effet d’une bombe. Certains croient donc en la mort du disque. Il est pourtant toujours présent dans l’univers musical luttant contre vents et marées.

Bordeaux, palais des expositions. La météo est clémente en ce samedi 12 mars 2016. Le soleil est haut dans le ciel, l’air est doux, les lunettes de soleil sont de rigueur. Après avoir longé le lac, on pénètre dans une salle entièrement dédiée à l’univers du disque, le temps d’un instant. Bienvenue au salon du disque de Bordeaux, édition printemps 2016. Dès l’entrée, un engouement certain et un amour du disque se font clairement ressentir. Alexandre Pequera, la quarantaine, est l’organisateur du salon depuis 10 ans. Il est également gérant du disquaire Diabolo Menthe situé en plein cœur de la ville. « Les gens ont toujours acheté du disque. À chaque salon, on accueille environ 2 500 visiteurs en un week-end. Le marché du disque a beaucoup évolué mais ne s’effondre pas », relate Alexandre. Depuis quelques années, il observe même une augmentation de la fréquentation du salon avec l’arrivée d’une nouvelle clientèle. Un fait confirmé par Maëlle, vendeuse au magasin Hifi-Bordeaux, présente au salon. « Le vinyle revient de plus en plus, surtout chez les jeunes qui récupèrent les disques de leurs parents et de leurs grands-parents. C’est revenu à la mode ».

L’industrie du disque connaît une traversée du désert de 2002 à 2013, traduite par une baisse des ventes. Internet, sa démocratisation et le téléchargement en ligne en sont la cause. Un regain nouveau pour le disque s’affirme cependant depuis quelques années. Dès 2010, plusieurs artistes de renom comme Pharell Williams ou les Daft Punk sortent en effet des vinyles, bientôt suivis par d’autres célébrités. Car si le streaming est le grand favori dans l’univers musical, « les gens ont toujours envie de voir, d’acheter et d’écouter des vinyles. Internet a ses limites », souligne Alexandre.

Alexandre est l'organisateur du salon du disque de Bordeaux
Alexandre Pequera, l’organisateur du salon du disque de Bordeaux. Crédit photo : Jadine Labbé Pacheco

De Johnny Hallyday à Balavoine en passant par Pink Floyd, on trouve de tout au salon. En flânant entre les rayons, je rencontre autant de jeunes que de retraités. Toutes les tranches d’âges sont représentées, les budgets aussi. Certains viennent avec 20 ou 30 euros et d’autres ont une somme plus conséquente, de plusieurs centaines d’euros. « Ça va d’un extrême à l’autre », note Alexandre. Et quand on évoque la mort, ou plutôt la non-mort du disque, avec lui, il répond, un léger sourire en coin : « ça fait 15 ans qu’on me dit que le disque va mourir mais finalement on n’en a jamais autant vendu qu’aujourd’hui. Il me semble que tout le monde s’est trompé et c’est très bien comme ça ».

« On ne frappe pas un enfant, on ne jette pas un livre et on ne jette pas un disque »

Au salon, un stand se démarque par une grande tapisserie bleue affichée au milieu des vinyles. Celui d’Olivier Mestagh. Arborant fièrement son t-shirt ‘Metallica’, son bandana bleu marine vissé sur le crâne et ses nombreux piercings aux oreilles, Olivier, cinquantenaire, originaire du Touquet, a un look pour le moins atypique. Bercé par la musique depuis tout petit de par son père, il abandonne son métier de conseiller juridique à la fin des années 90 pour s’adonner corps et âme à son amour de toujours : le disque. « On m’a traité de fou à l’époque, mais au boulot, c’était vraiment boring. Ma raison de vivre, c’est la musique. Le disque c’est mon bâton de pèlerin », relate-t-il. Olivier commence à vendre des vinyles lors des braderies du dimanche, au Touquet. « Mon papa travaillait à France 3, avant de travailler à l’ORTF puis à la Maison de la radio. J’avais récupéré tous ses vinyles ». Sa collection ? 30 000 disques pour son plaisir personnel et 12 000 à vendre. « Amateur passionné » comme il se définit lui-même, Olivier essaie d’être un bon généraliste. La musique végétale, le classique, le jazz, le funk, le heavy métal…Son répertoire n’a pas de limites. Son motto : « on ne frappe pas un enfant, on ne jette pas un livre et on ne jette pas un disque ».

 

 

Olivier et sa femme à leur stand, lors du salon du disque de Bordeaux, édition printemps 2016
Olivier et sa femme à leur stand, lors du salon du disque de Bordeaux, édition printemps 2016. Crédit photo : Jadine Labbé Pacheco

« La mort du disque ? C’est pas demain la veille. Les gens sont saturés. Ils veulent revenir au naturel. Manger bio, écouter du vrai son, pas aseptisé. Et quand j’écoute un vinyle sur ma terrasse avec mes lunettes de soleil, je ferme les yeux et je crois que le groupe joue à côté de moi. J’entends vraiment le cuivre, la guitare électrique. Parfois j’entends même les petites fautes. C’est génial », raconte-t-il avec passion.

Une qualité musicale unique

Les visiteurs clament eux aussi leur amour pour la musique. Patrick, la quarantaine est un habitué de l’évènement. Il a été touché par la fièvre des salons il y a vingt ans. « J’aime ce plaisir de pouvoir changer une chanson sans appuyer sur une télécommande. Je lève le sillon, le bras, et là…c’est un autre son », conte-t-il. Dehors, Valentin et Samuel, respectivement âgés de 24 et de 25 ans, viennent de quitter le salon. Il est bientôt 19h et ils profitent encore un peu du beau temps, assis sur une rambarde. Venus « pour trouver des perles », ils écoutent des vinyles depuis toujours.

Samuel, à gauche, et Valentin à droite, viennent de quitter le salon, heureux d'avoir trouvé quelques perles
Samuel, à gauche, et Valentin à droite, viennent de quitter le salon, heureux d’avoir trouvé quelques perles. Crédit photo : Jadine Labbé Pacheco

« Moi ce que j’aime dans le disque, c’est le vieux grain. Le son n’est pas du tout le même », confie Samuel. Valentin lui précise que « quand t’écoutes un disque, la qualité musicale est là. Tu sens tout de suite la différence avec tout ce qui est mp3, mp4 ». « Et le plaisir d’acheter un disque, c’est aussi avoir une réelle pochette, une matière physique. Il y a vraiment un côté artistique que j’aime bien », rajoute-t-il d’une voix passionnée.

« Le vinyle a une force incroyable »

Bertrand Dicale, 52 ans, est journaliste spécialiste de la musique. Passionné, il ne retournera pourtant pas au vinyle. « Passer une journée entière à écouter des vinyles, et bien c’est chiant », déclare-t-il. « Le vinyle est marginal mais symboliquement il a une force incroyable », nuance-t-il cependant. Ceux qui écoutent des vinyles sont les mêmes qui en ont marre du numérique. Mais bien qu’il n’écoute plus de vinyles, il lui reconnaît son caractère un peu sacré, exclusif et rare. « Le vinyle, c’est réinvestir la musique en quelque chose de cérémoniel. Il permet de sceller la relation avec l’artiste et est aussi hyper fédérateur : tous les dingues de musique font la même chose, autour du même objet ». Outre l’aspect musical et sonore, Bertrand Dicale évoque également l’objet en lui même. Un phénomène semble se généraliser : certaines personnes achètent des vinyles alors qu’elles n’ont pas de platines. La raison ? « Pour offrir d’une part. Et pour posséder de l’autre. C’est un objet exclusif que l’on peut insuffler dans une maison. Un carré de 31 cm de large dans un salon fait sens et raconte quelque chose », raconte-t-il. Pour lui, le vinyle est finalement un instrument « aristocratique » qui permet aux passionnés de manifester leur amour de la musique, « dans un monde dans lequel il y a énormément de musique, mais pas beaucoup d’amour de la musique ».

Jadine Labbé Pacheco

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