Ivan Guitz : « Notre quotidien, ce n’est pas le terrorisme »

Augmenter le nombre de magistrats pour mieux lutter contre le terrorisme. C’est le nouveau dispositif du gouvernement. La plus grosse promotion de l’histoire de l’École Nationale de la Magistrature a fait sa rentrée début février 2016. Ivan Guitz, magistrat à Bordeaux, décrypte pour nous cette mesure.

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366 élèves contre 262 cette année. Le gouvernement a donc décidé de former des magistrats supplémentaires. Vous êtes ancien auditeur de justice et ancien maître de conférence à l’ENM. Selon vous, quels sont les défis qui attendent cette promotion ?

Je pense que cette augmentation du recrutement va d’abord représenter un défi pour l’ENM. Les locaux posent déjà problème. Les amphithéâtres ne pourront probablement pas accueillir tous les auditeurs de justice. C’est également un défi pour nous, magistrats, puisque nous sommes en charge d’une partie de leur formation. Nous devrons donc réussir à tous les accueillir dans les tribunaux au cours de leurs stages.

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Le gouvernement a pris cette décision dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Dans quelle mesure cela peut-il participer à faire de la justice un rempart face au terrorisme ?

Dans l’immédiat, cette augmentation ne va rien changer. Elle n’aura pas tout de suite un impact sur la justice. La formation des élèves dure 31 mois. Ils ne seront donc pas magistrats avant 2018.

Et puis, je pense que la question de la lutte contre le terrorisme était l’argument nécessaire pour obtenir des créations de postes de la part du gouvernement. En fait, notre quotidien, ce n’est pas le terrorisme. Ce sont les contentieux civils, les affaires familiales, des domaines dans lesquels la demande est extrêmement forte. Nous sommes débordés dans les tribunaux. Nous manquons de personnel. Nous ne manquons pas seulement de magistrats, mais aussi de greffiers. Nos conditions de travail ne sont pas du tout favorables.

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Cette mesure peut-elle alors participer à améliorer le fonctionnement de la justice française ?

A l’échelle européenne, la justice française est très mal classée. En ce qui concerne le budget de la justice, c’est catastrophique. Beaucoup de procureurs travaillent jour et nuit et sans récupération le lendemain. Ce sont des conditions épouvantables. Cela peut potentiellement avoir un impact sur leur travail.

C’est pourquoi nous nous réjouissons qu’il y ait enfin un rattrapage des années Sarkozy, marquées par une pénurie de personnel judiciaire. Cela était accentué par un grand nombre de départs à la retraite. On ne va donc pas cracher dans la soupe. Nous sommes très contents de ces créations de postes. Et heureusement, elles ne vont pas toutes servir à renforcer le pôle antiterroriste. Il y a besoin de magistrats à cet endroit, mais il y en a également fortement besoin aux affaires familiales. Il s’agit de répondre à une demande publique très forte.

Propos recueillis par Jeanne Travers et Aurore Richard

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